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deux enfants, un petit garçon et une petite fille. Hélas ! une surveillance occulte, exercée sur l’oncle James, fit tout découvrir un jour. La mort de Thomas Dean, qui n’était autre que Lewis, fut résolue. Pourtant, il ne gênait aucunement la secte ; il n’y avait pas même lieu de prévoir qu’il pût prendre jamais une attitude hostile, puisqu’il s’efforçait de se faire oublier. N’importe, « il avait failli à sa mission d’ultionniste » ; la loi de la haute-maçonnerie est inexorable, le châtiment suprême lui était réservé.

On lui tendit un piège, sous prétexte d’affaire d’intérêt ; il fut attiré dans une maison de Rio ; c’était le siège d’un triangle. Justement, j’avais rendez-vous avec l’archiviste, qui avait à me communiquer un rituel curieux, et je voulais profiter de mon passage dans la ville pour prendre quelques notes. C’était l’après-midi. Après avoir noté ce qui me parut intéressant, j’allai me retirer, lorsque j’appris qu’il y avait tenue extraordinaire dans la salle principale du local. Une séance de palladistes le jour, voilà qui était assez anormal. Je me fis tuiler et reconnaitre, et j’entrai. On venait d’amener à l’instant même le faux Thomas Dean, et on lui exposait le crime qui lui était reproché, le crime de ne pas avoir commis un crime, Déjà, les poignards étaient levés. J’intervins, et, usant de mes droits de Hiérarque et d’Inspecteur Général, je prononçai le veto. Lewis Peck fut donc relâché, sous le serment de se taire ; engagement qu’il prit vraiment avec une parfaite sincérité, et qu’on pouvait être sûr de lui voir tenir ; il était bien trop heureux de s’en tirer à si bon compte.

Le veto sauve ; mais le frère haut-gradé qui le prononce en assume la responsabilité et doit des explications au Sanctum Regnum. J’avais donc envoyé à Charleston un rapport quelconque, où je m’étais amusé à plaider médicalement l’inconscience de Lewis Peck. Je ne songeais plus à cette aventure, vieille de plusieurs mois, et voilà qu’on venait me la rappeler à New-York. Les Émérites n’avaient pas trouvé mon rapport concluant ! En outre, Lewis Peck, peu soucieux de courir de nouveaux risques, avait disparu encore et gagné, avec sa femme et ses enfants, une nouvelle retraite. Il n’avait pas eu tout à fait tort, comme on pense.

J’étais là, devant les membres de l’Étendard de la Divine-Croix. Je leur renouvelai la thèse que j’avais émise dans mon rapport ; je la développai même, avec chaleur, comme si je n’avais pas su que tout était réglé d’avance, comme si je m’efforçais sérieusement de gagner mon procès. Ma visiteuse, quoique appartenant à un autre triangle de la ville, était venue ; je sentais son regard qui ne me quittait pas. Un frère, quelque peu hargneux, essaya de mettre sur le tapis la séance de l’avant-veille, en glissant qu’il y avait une étrange coïncidence entre ma présence et la fâcheuse façon dont s’était terminée l’expérience de la sœur Ingersoll ; mais le grand-maître l’arrêta aussitôt : moi, je me contentai de hausser les épaules.

Le grand-maitre résuma le débat, dans un petit speech à l’assemblée. Il dit que mes explications lui paraissaient des plus satisfaisantes, qu’elles n’avaient pas été bien comprises à Charleston, qu’en effet, dans un cas semblable, elles ressortaient mieux verbales qu’écrites ; et il conclut qu’à son sentiment rien ne s’opposait à ce qu’on me décernât le titre de membre honoraire du triangle. L’assistance fut unanime à approuver cet avis ; on m’entoura, on me félicita, c’était à qui me serrerait la main en me complimentant. Le grand-maitre fit la proposition de m’offrir le vin d’honneur, en témoignage de la profonde sympathie que l’on avait pour moi ; le vin d’honneur fut voté avec enthousiasme et un officier de l’atelier fut chargé d’aller le faire préparer. Puis, la séance se continua, banale, par la conférence d’un frère quelconque qui avait un discours à placer.

On apporta les coupes pleines, sur un plateau d’argent ; on les distribua à la