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— Parfaitement, mademoiselle.

— Le frère délégué vous a bien recommandé d’apporter vos titres, pour que le grand-maître et la grande-maîtresse y apposent le cachet du triangle et leurs signatures ?

— En effet.

— Avant de fermer les travaux, on vous offrira le vin d’honneur consacré ?

— Mademoiselle, vous êtes informée à merveille.

— Mieux encore que vous ne le croyez, mon cher docteur. Permettez-moi de vous apprendre que c’est ce soir et au moyen de ce vin d’honneur que vous devez être empoisonné.

J’eus un soubresaut.

— Oui, c’est ainsi, poursuivit ma visiteuse, imperturbable. Votre mort a été décidée, pour plusieurs raisons, et l’ordre est venu hier de Charleston, puisque c’est là que vous êtes inscrit à titre actif, et en second lieu parce que votre fonction d’Inspecteur Général en mission permanente vous rend justiciable du Sérénissime Grand Collège, ayant droit de procéder et de vous juger à votre insu. Donc, vous êtes jugé et condamné.

— Tiens, tiens, fis-je, mais cela devient extrêmement intéressant. Et pouvez-vous me dire quels sont les griefs qui ont motivé une décision aussi inattendue ?…

— Inattendue ? me répondit-elle en souriant… Mon cher docteur, laissez-moi vous dire que vous deviez bien, il me semble, vous attendre à ce qui vous arrive. Ce soir, on vous parlera d’une certaine affaire Lewis Peck, un ultionniste ayant forfait à son mandat et en faveur de qui vous êtes intervenu par un veto, que Charleston juge tout à fait injustifié. Mais il y a autre chose ; et le grief capital, on ne vous le fera pas connaître, on n’en dira pas un mot…

Je l’écoutais avec calme. Elle, après un repos, reprit :

— Vous savez que quelquefois des œuvres de grand-rite ou d’autres expériences ne réussissent pas à raison de la lutte entre les maléachs et nos bons génies. Or, en ces derniers temps, en divers endroits, nos vocates élus ont été frappés de la fréquence des insuccès, et le groupement de plusieurs rapports a fait remarquer la coïncidence de votre présence en de nombreux cas. Cela a paru étrange ; vous avez été mis en suspicion, observé, et nous savons maintenant, docteur, de la façon la plus sûre, que vous n’êtes pas des nôtres, en réalité. Moi-même, j’en ai la certitude absolue.

— Mais alors, mademoiselle, si vous êtes, comme vous le dites, certaine que je sois tout le contraire d’un bon palladiste, pourquoi venez-vous me prévenir ? car, vu votre avis, il est clair que je ne me rendrai pas ce soir à l’invitation de l’Étendard de la Divine-Croix.

— Je vous préviens, parce que je réprouve les ultions. Je veux que la religion sainte gagne peu à peu les âmes par la persuasion, sans qu’on recoure jamais à des moyens meurtriers, même quand on s’aperçoit qu’on a eu affaire à un curieux mal pensant, — comme vous l’êtes, je le répète, et vous ne me démentirez pas. — Mais je fais mieux que vous prévenir ; je vous sauve. Pour cela, il faut que vous alliez au triangle ; il faut que vous jouiez la surprise quoiqu’il advienne ; il faut que vous ayez confiance en moi, car ne pas venir serait me compromettre moi-même. Il faut enfin que vous buviez le vin d’honneur, sans hésiter, quand on vous présentera la coupe à vous destinée. Je vous jure, monsieur le docteur, que vous pourrez boire ; l’homme qui a été désigné pour vous servir le poison, est à moi.

Cette fois, j’étais stupéfait.

— Eh bien, oui, je suis catholique, mademoiselle, lui dis-je, et mon enquête…

Elle m’interrompit :