Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lent ; à l’heure fixée, notre Dieu exercera la vengeance impitoyable, par les armes du peuple saint. ».

Les karataschis s’interdisent de tuer aucun animal ; ce scrupule va jusqu’à éviter d’écraser les fourmis ou de détruire quelque insecte que ce soit, même les poux de leur tête et les puces de leurs illustres habits : « Qui sait, disent-ils, quelle est l’âme humaine qui est passée dans le corps de cet animal ? » Ils ne se taillent ni ne se coupent la barbe, laquelle, du reste, ne pousse que très faiblement sur leur peau. Sous le rapport de la propreté, chez les Jézides, les simples fidèles rivalisent de crasse et de vermine avec leurs prêtres-fakirs.

Les Jézides ont leurs prestiges, cela va sans dire, et Satan accomplit des merveilles en leur honneur. Michel Febvre raconte à ce sujet un fait, qu’il traite, il est vrai, de légende : « Me trouvant un jour avec eux près du couvent arménien de saint Siméon Stylite, où je les avais priés de me conduire, l’un d’eux, m’ayant fait remarquer une fente dans le rocher de la montagne, me demanda si je connaissais l’origine de cette fente. Sur quoi lui ayant répondu que non, il me raconta qu’un jézide étant un jour poursuivi par des infidèles qui voulaient l’obliger à maudire l’Ange-Paon (c’est encore un des noms dont ils se servent quand ils parlent de Lucifer devant les personnes étrangères à leur religion), la pierre s’entr’ouvrit pour le mettre à l’abri de la persécution de ses ennemis ; prodige qui étonna si fort les incrédules qu’ils se convertirent à l’heure même et demandèrent pardon à celui qu’auparavant ils voulaient mettre à mort. » Mais Satan n’a pas toujours permission d’intervenir pour les défendre ; car on cite plusieurs jézides, que des turcs, des persans ou des arméniens ont massacrés parce que, saisis par la foule dans une ville hostile, ils s’étaient refusés à maudire le diable ; plutôt que de faire cela, ces fanatiques préférèrent se laisser écorcher vifs. Ce sont là les martyrs jézides.

Enfin, trois montagnes sont spécialement l’objet de leur vénération : le Sindjar, où ils se rendent en pèlerinage et où, en l’honneur de Lucifer, ils jettent dans un abîme de l’argent et des joyaux ; l’Alagoz, massif volcanique, dont le cône obtus atteint 4.190 mètres d’altitude, et qu’ils considèrent comme une sorte de lunette ou de télescope par lequel les esprits du feu intérieur de la terre regardent les astres du firmament, afin d’inspirer les réponses aux karataschis consultés sur l’avenir (Alah-ghoz signifie l’œil de Dieu) ; et, surtout, l’Ararat, dont le massif est le centre historique du plateau d’Arménie, l’Ararat, mont sacré des Kurdes et, en particulier, des Jézides.

La question de l’Ararat, envisagée au point de vue palladique, va m’amener à parler de l’Ante-Christ, à propos des Jézides ; ce sera le lien entre ce chapitre et le dernier de mon ouvrage. En effet, le mont Ararat, fort