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seconde, moissonnèrent les plus belles fleurs de la terre et les déposèrent aux pieds de l’Adam transformé, émerveillé. De même que Mikäël, Gabriel et Raphaël avaient formé un amas d’humus pour être pétri par Adonaï, de même les trois hauts génies de lumière formèrent un monceau de toutes les richesses de la flore terrestre : et cette chose, Lucifer la pétrit à son tour, l’anima par un de ses sourires, et la femme fut faite, la rose ayant fourni l’incarnat de ses joues, et le lys la blancheur de son sein.

Toute la belle et bonne nature était à présent dans la joie, saluant la femme comme sa reine immortelle.

— Quel nom donnes-tu à la femme, Dieu Tout-Puissant ? demanda Astarté.

— Je la nomme Ève ; car c’est par elle qu’Adam entre dans la vraie vie.

Le Dieu-Bon et les trois hauts génies de lumière s’élevèrent à travers l’espace ; l’humanité n’avait plus dès lors qu’à vivre et se multiplier dans le bonheur ; et les deux premiers humains, ravis et reconnaissants envers Lucifer, s’endormirent sur le frais gazon dans les bras l’un de l’autre, au doux murmure du roucoulement des colombes.

Il n’y a pas lieu de donner ici la suite de la légende palladique, c’est-à-dire la rentrée en scène d’Adonaï humilié, qui jure de se venger, jette un charme maudit sur le premier couple humain, dans le but de laisser l’humanité à jamais réduite à Adam et Ève ; je passe cela, et le reste. Ce que je voulais, c’était seulement faire connaître comment le livre Apadno travestit la Bible sur le fait de la création, dont nous avons à nous occuper dans ce chapitre.

Créer est interdit à Satan ; voilà pourquoi il s’attribue une part dans les origines surnaturelles de l’humanité, en imaginant ce conte ridicule que les triples fous du Palladisme rêvent d’imposer un jour comme dogme à tous les peuples de la terre. Mais, en attendant que la religion secrète sorte des triangles [1], les nouveaux alchimistes, les chimistes lucifériens cherchent à créer, eux aussi, et Satan, le suprême dupeur, les encourage, en leur promettant son assistance.

Il leur a expliqué que c’est en se prenant à lui-même une étincelle de ce feu éternel dont il est le principe, la quintessence, qu’il a animé par elle l’œuvre imparfaite d’Adonaï et qu’il est ainsi le véritable auteur de l’homo sapiens. Il leur a dit la rancune qu’Adonaï lui à vouée à la suite de cet abaissement de son orgueil et de quelle haine implacable ce Dieu-Mauvais

  1. Si je suis bien renseigné, il s’est formé depuis quelque temps, dans les nouveaux groupes lucifériens indépendants, un courant favorable à la divulgation des doctrines du Palladisme. En janvier 1895, on a agité à Londres la grosse question : ne serait-il pas temps d’entrer dans la voie de la propagande publique ? Certains croient que cette propagande serait plus efficace que le recrutement pratiqué dans les loges maçonniques. Si une suite était donnée à ces desseins, nous verrions donc bientôt le luciférianisme pur professé catégoriquement et enseigné sans aucun voile. L’Angleterre, qui inonde le monde de bibles protestantes, est-elle destinée, en outre, à faire à présent la distribution générale des tracts lucifériens projetés ?