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— Allons ! c’en est assez, dit Adonaï ; cet être me plaît ainsi, pour l’existence qu’il aura à vivre sur Terre ; mais j’aurais aimé pouvoir lui donner tout au moins la malice d’un de mes maléachs… Cet animal se nommera Adam. Il est insexuel, ainsi que les génies de mon royaume ; il demeurera donc le seul de son espèce. Qu’il soit heureux dans les boues de la Terre ; je lui octroie l’immortalité !

Et le Dieu-Mauvais regagna les régions de son domaine, accompagné de Mikaël, Gabriel et Raphaël, afin de se concerter là avec eux pour régler les nouvelles conditions de la guerre contre Lucifer. Les autres esprits du feu qui s’étaient révoltés furent admis dans le conseil.

Sur terre, l’Adam adonaïte continuait à se vautrer au milieu de la fange. Les autres animaux terrestres vinrent à tour de rôle regarder ce nouveau compagnon. Les lions en avaient pitié ; les chats s’en éloignaient avec méfiance ; un éléphant, le saisissant avec sa trompe, le sortit de la mare, et, par bonté instinctive, essaya de le laver avec l’onde claire et limpide d’une source voisine. L’Adam adonaïte grogna contre l’éléphant, grogna contre les chats et contre tous les animaux formés par Lucifer, et se replongea dans sa vase grouillante. Assis ou suspendus dans les branches des arbres qui entouraient l’endroit, les singes, joyeux, se moquaient de l’être stupide, et les oiseaux avaient, dans les notes de leur chant, comme des éclats de rire.

Soudain, les fleurs ouvrirent partout leur calice ; les boutons de rose, faisant éclater leur corsage vert, s’épanouirent, fraîches, splendides de couleur, et embaumant les airs. Le Dieu-Bon venait de paraître, et la belle nature lui faisait fête, tandis que les crocodiles, les poissons, et tous les animaux qui sont dépourvus de l’ombre même de l’intelligence s’enfuyaient.

L’Adam adonaïte, épouvanté, se cachait au fond de la boue. Lucifer l’en retira. À ce seul contact, toute la saleté dont il avait fait jusqu’alors son élément s’anéantit ; la masculinité saillit en sa chair auparavant visqueuse, là où l’Excelsior l’avait saisi, lui donnant un sexe par la seule étreinte de sa main divine ; et le Dieu-Bon, enfin, le plantant droit dans la posture qui est devenu l’apanage de l’homme, lui posa l’index sur le front, en disant :

— Infortuné, tu vivais dans le sommeil de l’inconscience et de la stupidité ; que la lumière se fasse dans les ténèbres de ton cerveau ! Reçois en toi cette infime étincelle de l’éternel feu de Lucifer ; c’est pour toi l’intelligence et le verbe ; de brute que tu étais, je te transforme en être raisonnant et parlant, je te fais le plus intelligent des habitants de cette planète… Ton existence vile et inféconde n’était pas la vraie vie, la vie selon la nature belle et parfaite. Eh bien, la vraie vie, je te la donne encore… Regarde, sois heureux, et bénis-moi.

Alors, descendirent du ciel Baal-Zéboub, Astaroth et Astarté, qui, en une