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— Dieu du Mal, dit Mikaël prenant la parole, nous avons la haine du Bien. Place-nous à la tête de tes maléachs, et nous accomplirons de grandes choses.

Adonaï, arrêtant ses larmes, répondit :

— Le plus intelligent des animaux qui sont mon œuvre sur la Terre, c’est le crocodile. Je voudrais produire un animal supérieur.

— Ne songe pas qu’à la Terre, ô Adonaï, répliqua Mikaël ; la Terre n’est qu’un point dans l’espace. Vois quelles sont les forces dont tu disposes ; réunis tous tes maléachs autour de toi, et engageons un terrible combat pour détruire Lucifer.

Mais Adonaï s’obstinait à vouloir former sur la Terre un animal supérieur à tous les autres.

— Eh bien, insinua Gabriel, prends de la terre, mêles-y de l’eau de ton divin royaume, et avec cela pétris un être animé à l’image du singe et supérieur au singe.

— Oui, appuyèrent Mikaël et Raphaël, produis, ô Adonaï, un animal terrestre et supérieur au singe.

Adonaï jugea bonne l’idée qui venait de lui être suggérée par les trois esprits du feu révoltés, et il voulut aussitôt la mettre à exécution.

Tous les quatre, ils descendirent sur notre planète. Mikaël et ses deux acolytes ramassèrent de cette matière qui forme le sol et la présentèrent au Dieu-Mauvais. Celui-ci l’humecta de son propre principe humide, et la masse de terre devint un bloc pétrissable. Adonaï se mit à l’œuvre ; comme un sculpteur, il modela un singe d’argile. Puis, il s’agit de l’animer : Adonaï souffla dans la bouche de sa statue de terre et contempla son ouvrage. L’être nouveau se mouvait, en effet, mais lourdement, marchant à quatre pattes, mangeant de l’herbe, faisant entendre des grognements de bête stupide.

Le Dieu-Mauvais n’était pas satisfait. Il souffla une deuxième fois dans la bouche de l’animal grotesque ; celui-ci hurla, exécuta des cabrioles, mais ne put parvenir à se tenir debout ; à chaque saut, il retombait par terre, bavant une salive verdâtre, se traînant sur les genoux, et il grognait de plus belle, regardant son auteur d’un œil glauque et terne.

Une troisième fois, Adonaï lui souffla dans la bouche, et de toute son énergie. La contrefaçon du singe de Lucifer marcha sur les mains, tenant les jambes en l’air, pour choir bientôt encore ; et, multipliant ses grognements, maintenant cet être absurde et infect se repaissait de la fiente des autres animaux. Finalement, il s’allongea dans une petite mare qui était là, bourbeuse et fétide : il se vautrait avec complaisance dans la vase et les immondices ; c’était là son seul plaisir ; créature de boue, il retournait à la boue.