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reflet d’une pensée impure traversant son cerveau[1]. Voilà ce qui déconcerte mon appréciation, dans l’examen de ce cas de possession latente ; mais voilà aussi ce qui me convainc intimement que Diana Vaughan n’est pas à jamais perdue. Il y a, me semble-t-il, quelque ange du ciel qui a mission de veiller sur elle, qui la protège, alors qu’elle se croit protégée par son Asmodée ; ce démon est, selon toute évidence aux yeux de la foi chrétienne, l’instrument d’une destinée providentielle, l’esclave d’un projet divin insondable, esclave furieux sans doute de la contrainte qui lui est imposée, mais impuissant à faire ce que sa perversité voudrait.

Sous le bénéfice de ces considérations, examinons, à présent, les principaux faits surnaturels produits dans le cas de miss Vaughan.

La grande-maîtresse de New-York est une extatique au cinquième degré ; j’ai constaté ce premier point, et là-dessus j’ai mon opinion bien arrêtée. En outre, elle passe pour jouir du don de bilocation, mais dans de certaines circonstances particulières ; relativement à ce second point, je n’ai assisté qu’à une seule expérience, et elle ne m’a pas paru concluante.

Parlons d’abord de l’extase.

Certaines maladies naturelles, par exemple, l’épilepsie, le spasme, les

  1. Ceci ne veut pas dire que miss Vaughan soit une ignorante, une Agnès, pour employer le mot mis à la mode par Molière ; il s’en faut de beaucoup, car elle a tout étudié, même la médecine. Mais, précisément parce qu’elle sait et que, d’autre part, elle est honnête, elle condamne, j’en suis certain, dans sa conscience, certaines choses du Palladisme : seulement, cela, elle ne le dira jamais publiquement. Ainsi, voici un petit incident curieux : je possédais le texte du Gennaïth-Menngog. et je l’avais communiqué à quelques personnes. M. De la Rive m’offrit de le faire traduire par son ami M. Le Chartier, le modeste, mais savant érudit, connaissant à fond toutes les langues orientales, mortes et vivantes, ainsi que tous les procédés linguistiques et cryptographiques du Kaabbalisme. Or, j’avais toujours pensé que le charabia sauvage du chant principal des œuvres de grand-rite n’avait aucun sens, qu’il avait été composé selon l’avis de Pic de la Mirandole : en occultisme, les formules les plus efficaces sont celles dont les mots ne sont d’aucune langue et ne signifient rien. Aussi, ne voulant pas que cette communication fît perdre à M. Le Chartier inutilement son temps précieux, je proposai à M. De la Rive d’user, avant tout, d’un petit stratagème. Comme il compte, quoique profane, au nombre des amis de miss Vaughan, je lui conseillai de s’adresser d’abord à miss et de solliciter de sa complaisance la communication du texte du Gennaïth-Menngog. « Si ce texte est intraduisible, comme j’en suis convaincu, lui écrivis-je, notre amie ne fera pas de difficultés, je pense, pour vous le remettre, et alors ce ne sera pas la peine de faire perdre du temps à M. Le Chartier. Si, au contraire, elle vous le refuse, c’est que ce texte appartient à la catégorie des secrets ignominieux que sa conscience honnête répudie et dont elle a honte pour son palladisme ; alors, puisque notre inoffensive ruse nous aura prouvé que je me suis trompé, nous pourrons recourir aux lumières de M. Le Chartier. » M. De la Rive suivit mon conseil, et miss Vaughan, ne se doutant pas que nous possédious bel et bien le texte du Gennaïth-Menngog, le refusa dans des termes très secs. Elle dit à M. De la Rive qu’elle lui donnerait sur Lemmi tous les renseignements politiques et privés qu’il voudrait, mais qu’il la jugeait mal s’il la croyait capable de dévoiler quoi que ce fût relativement au Palladisme lui-même. Dès lors, nous étions fixés. Le texte mystérieux fut envoyé à M. Le Chartier, qui le déchilfra et en envoya la traduction mot à mot à M. De la Rive : comme obscénité mysticodiabolique, c’était un comble dépassant tous les combles. Miss Diana Vaughan n’avait pas voulu nous fournir des armes contre le Palladisme ; j’ai su, depuis, que, dans le triangle Phébé-la-Rose dont elle était grande-maîtresse, le Gennaïth-Menngog ne se chante pas, non plus certains autres hymnes du même acabit. À l’époque de sa démission, elle avait pris l’initiative d’une pétition au Sérénissime Grand Collège des Rites, dans le but d’obtenir la suppression de l’épreuve du pastos pour les triangles qui n’en voudraient pas, et elle avait recueilli quelques signatures. En somme, dans le Palladisme, elle professait une hérésie qui lui fait honneur.