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Je n’ai aucune raison de soupçonner que la grande-maîtresse de Buenos-Ayres, de qui je tiens ces renseignements, ait voulu me tromper. D’abord, depuis la publication de mon ouvrage, j’ai eu l’occasion d’en glisser quelques mots dans une conversation avec un de mes ex-frères, un parisien, qui se lamentait des révélations pleuvant dru sur le temple, et sa réponse m’indiqua très nettement qu’il était au courant de ce prestige. Ensuite, l’expérience que j’ai acquise en fréquentant les triangles me permet de départager le vrai et le faux parmi les nombreuses expériences qui m’ont été racontées, en dehors de celles dont j’ai été témoin oculaire. Aussi, je ne vois rien d’impossible dans le cas du F∴ Painblanc : au surplus, le tambour à hiéroglyphes n’est pas le seul objet enchanté servant à l’appel des « daimons » ; je parlerai tout à l’heure du tambour de basque de miss Vaughan.

Au nombre des prestiges que je rejette, comme tout à fait incroyables, se trouve le cas d’un frère et d’une sœur palladistes de Constantinople, le mari et la femme, deux arméniens diabolisants. On dit qu’ils changent l’un et l’autre de sexe à volonté. Il pourrait n’y avoir là qu’une fantasmagorie diabolique, une illusion d’optique pour les spectateurs de cette œuvre de grand-rite ; mais, comme ceux-ci n’assistent pas, dit-on, à une séance de transformation où les personnages seraient impalpables, et comme, au contraire, on m’a ajouté qu’en leur état contre-nature ils se plaisent à opérer sur le pastos, ceci dépasse, à mon avis, les bornes de la vraisemblance, et je n’y vois qu’une comédie obscène.

On m’a raconté encore qu’à Alexandrie un triangle compte parmi ses membres un tout petit homme, presque un nain, qui, une fois par an, à jour fixe, opère un prestige singulier. Le 2 octobre, devant tous les frères et sœurs de son atelier, il se met complètement nu et monte sur une grande table ronde, où il tourne, tourne, en marchant à quatre pattes. Pendant qu’il se démène ainsi, son épine dorsale s’allonge, et l’appendice caudal qui lui pousse au coccyx est une superbe queue de renard ; les assistants, narre-t-on, peuvent tâter et se convaincre qu’il n’y a aucune supercherie. Puis, la queue de renard disparaît tout à coup. Mais c’est là encore, sans aucun doute, une légende fantaisiste.

Dans le Palladisme, comme ailleurs, il y a une sorte d’émulation, un esprit de gloriole, qui amène l’invention de récits exagérés. Tel visiteur, venant dans un triangle étranger et y assistant à une œuvre de grand-rite, dit souvent, à la sortie, en causant : « Oh ! chez nous, nous avons tel frère ou telle sœur, qui, en état de pénétration, opère tel et tel prodiges, bien plus merveilleux que ce que je viens de voir ici ». C’est l’éternelle histoire du marseillais et du gascon, qui, chacun, renchérissent sur ce qui leur est arrivé.

C’est pourquoi je n’ai pas accueilli à la légère tout ce qui m’a été rapporté ;