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ment confirmé celles du chef de la sûreté. » Donc, il n’y avait aucun doute chez les gens du gouvernement.

Mais la haute-maçonnerie agissait. D’une part, toute la presse inféodée aux loges protestait contre l’arrestation de l’anarchiste russe. D’autre part, des menaces de mort pleuvaient chez l’ambassadeur du tsar, le prince Orloff. Les socialistes révolutionnaires étrangers, eux, levaient audacieusement la tête ; rue de la Bastille, l’anarchiste allemand Erhard, présidant une réunion cosmopolite, avait osé dire dans un discours : « Il y aura bientôt un an que le premier attentat contre le tsar a eu lieu. L’auteur a été pendu ; mais le nom de Solowief restera illustre, car il a subi la mort des martyrs pour défendre la cause de l’humanité. Depuis lors, nos frères russes n’ont pas encore pu atteindre leur but ; mais peu importe. Il vaut mieux peut-être que le tsar n’ait pas encore rencontré la mort ; car un monstre de ce genre, qui a causé tant de malheurs, n’est pas digne de mourir ainsi. La mort étant la seule épouvante pour ces êtres, le tsar devrait, à titre de châtiment, d’abord subir la torture, et ensuite périr d’une mort lente et cruelle. Pour nous, socialistes allemands, qu’une même pensée unit aux nihilistes russes, loin de renier les auteurs de l’attentat de Moscou, comme on l’a fait pour Hœdel et les autres à Berlin, nous devons tendre la main à nos frères russes et les féliciter hautement d’accomplir ces actes d’héroïsme ! » Erhard, après un tel langage, ne fut pas arrêté, pas même reconduit à la frontière.

On vit alors le F∴ Engelhard, député de la gauche, se constituer l’avocat de l’homme écroué sur la requête du prince Orloff et prétendre, par un mémoire, qu’Édouard Mayer n’était pas Hartmann. Mais, en même temps, les révolutionnaires militants de la haute-maçonnerie, dédaignant de recourir à ces arguties, revendiquaient hautement Hartmann et réclamaient impérieusement sa liberté.

Il y avait quinze jours que le nihiliste était sous les verrous. Le vieux mazzinien Félix Pyat, maçon communard, écrivit la lettre suivante, qui fut aussitôt reproduite par la presse sectaire :


Félix Pyat à Garibaldi
Londres, 1er mars 1880.
Mon vieil ami,

Le dernier attentat contre le despote de toutes les Russies confirme votre phrase légendaire : « L’Internationale est le soleil de l’avenir. »

Depuis le premier roi jusqu’au dernier président de république bourgeoise, tous doivent disparaître ou de gré ou de force.

Unissez votre voix à celle des socialistes français pour protester contre l’extradition projetée de notre vaillant ami Hartmann.

Le sol français doit être inviolable pour les proscrits qui, comme nous,