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m’éblouir, en me faisant constater sa puissance. Ne devais-je pas le rappeler à la réalité, c’est-à-dire à son infériorité devant Dieu, en d’autres termes l’humilier en le faisant fuir par un signe de croix ? Mais je me dis aussi que je n’étais pas digne d’engager une pareille lutte ; les prêtres à qui sont donnés les pouvoirs d’exorcisme sont toujours choisis parmi les plus vertueux, les plus irréprochables, et j’étais simple laïc, et j’étais loin de la perfection requise. Or, les exorcistes autorisés ne remportent pas toujours la victoire du premier coup ; cela n’eût-il pas été une présomption de ma part de vouloir chasser Belzébuth, sans être certain du résultat, non que je manquasse de foi, et en outre n’était-ce pas me faire connaître trop tôt à Sophia pour un catholique militant contre son palladisme ? En vérité, ma mission n’était pas de rappeler à l’ordre le malin, mais d’étudier ses manifestations. Eh bien, puisque les puissances de l’abîme étaient en veine de prestiges, je devais, en cette circonstance, ne pas chercher à les interrompre, mais poursuivre avec plus d’attention que jamais mon examen.

Du reste, le prestige diabolique se présentait dans des conditions exceptionnelles ; je me recommandai à la bonne Mère par une prière intérieure rapide, et je continuai à observer.

Pendant ces courtes réflexions, Sophia, ou plutôt le démon qui s’était incarné en elle, dardait sur moi son regard à la fois flamboyant et scrutateur. Je ne bronchai pas.

Maintenant, la possédée latente avait repris sa posture normale ; ses pieds foulaient le sol. Elle me dit : « Venez encore », me prit la main et m’entraîna de plus belle. Nous marchions à grands pas.

Tout à coup, au tournant d’une allée, un nouveau spectacle étrange s’offrit à ma vue. Un arbre, au passage de Sophia, subitement retroussa ses branches, disposant ses rameaux en forme d’éventail, et s’inclina dans une profonde révérence ; son bois, peut-être séculaire, avait perdu toute rigidité ; il était flexible comme du caoutchouc. Mais le plus fantastique, c’est ce que fit une grosse branche, cassée, à moitié sèche, presque sans feuilles ; de l’extrémité, comme par une floraison subite, un beau bouquet en sortit, où dominaient de superbes lys martagons, et ce bouquet était tenu et fut présenté à la possédée par une main, d’apparence humaine, qui avait surgi, terminant la vieille branche, comme si celle-ci eût été un bras.

Mlle  Walder prit le bouquet diabolique avec joie ; elle était radieuse.

— Vous voyez, me dit-elle d’un ton de triomphe, vous voyez, les bons génies me protègent ; nous aurons ce soir des résultats merveilleux ; on obtiendra par moi tout ce que l’on voudra.

Je ne lui répondis pas ; j’étais pensif, je méditais sur toutes ces choses.

Notre promenade terminée, l’heure de la réunion allait sonner bientôt. Tous les invités, frères et sœurs, étaient présents ; aucun n’avait manqué à la convocation.