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plus au nord. Toutefois, je m’arrangeai pour faire coïncider ma fin de voyage avec la sienne, et il fut convenu que nous nous rencontrerions, à Lugano, quand il aurait quitté Côme, tandis qu’ayant traversé toute la Suisse et ne faisant qu’un court arrêt à Zurich, je viendrais le rejoindre par la ligne du Saint-Gothard et Bellinzona. De Lugano, nous reviendrions ensemble en France, en redescendant à Milan et traversant la frontière à Vintimille.

Cet ami de miss Vaughan avait à voir, au cours de sa pérégrination, le docteur V***. Nous fûmes exacts, l’un et l’autre, à notre rendez-vous. Il m’y apprit que Sophie Walder était arrivée, elle aussi, depuis quelques jours, et qu’il y avait grande liesse en son honneur parmi les frères et les sœurs du triangle la Profundità di Dio.

La tenue n’eut pas lieu comme à l’ordinaire, au local de la loge Il Dovere, mais dans une villa du mont Caprino, appartenant à un frère italien, très riche, grand admirateur d’Ettore Ferrari, qui lui a fait son buste, payé une somme folle. C’était au cœur de l’été. Ce frère avait invité à diner les principaux officiers du triangle et quelques sœurs de marque ; Sophia fut la reine du festin, auquel cependant je n’assistai pas, non plus mon compagnon. Nous arrivâmes seulement pour la réunion, qui devait suivre le repas et se tenir dans une des spacieuses grottes naturelles que la montagne recèle en ses flancs ; celle qui appartenait à cette propriété est réputée pour une des plus belles.

Ayant ce jour-là tout notre temps à nous, nous étions venus à pied, sans nous presser, admirant le long de la route les sites magnifiques du pays, ne pouvant nous lasser de contempler au soleil couchant le mont Generoso qui dominait devant nos yeux ravis le joli lac de Lugano et tout ce pittoresque panorama. Nous avions dîné à Paradiso, à une auberge quelconque, bien proprette, et maintenant nous sonnions au portail de la villa, insoupçonnée par les habitants du pays d’abriter souvent des réunions d’occultistes.

Les invités avaient quitté la table et prenaient le frais, achevant leur café. Mlle Walder vint à moi, toute joyeuse, et tint à me présenter elle-même à l’hôte de céans. Elle savait que j’étais à Lugano depuis deux jours.

— Mon cher docteur, me dit-elle, vous tombez à merveille ; nous aurons ce soir une tenue de grand-rite.

— Et c’est vous qui allez encore servir aux expériences ? interrogeai-je.

— Naturellement.

— Vous savez pourtant ce que je vous ai dit…

— Quoi donc, mon ami ?

— Je vous ai recommandé de vous ménager. Ces expériences continuelles finiront par vous jouer quelque mauvais tour.

En moi-même, je pensais à la mort subite du F∴ Shekleton.

Elle eut un éclat de rire.

Le propriétaire de la villa nous offrit, à mon compagnon et à moi, le café