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« On m’avait averti que le tsar voyagerait par le train de marchandises. Vous voyez donc que je n’ai pas commis, comme on l’a dit, une bévue stupide, quant au choix du train. Mon explication est fort simple. Nous étions tenus très au courant, par des fonctionnaires de nos amis, de tous les mouvements du tsar. Nous avions été avertis que, selon la coutume, il quitterait le train officiel dans lequel une figure, représentant le tsar, serait assise à la fenêtre du wagon-salon, tandis que le tsar lui-même, espérant ainsi échapper à tout danger, voyagerait déguisé en employé du chemin de fer.

« Un télégramme m’apprit que tout allait bien et que le train arrivait. Lorsque le train passa, je mis le feu à la mine, avec l’espérance de voir l’empereur sauter. Les débris du train furent lancés loin de la maison ; mais bientôt j’appris avec chagrin que le tsar, ne croyant pas qu’il y eut danger pour ce voyage-là, avait quitté le train de marchandises à quelques milles de là et pris le train officiel, afin d’entrer dans Moscou avec apparat.

« Je partis aussitôt en traineau, et je rejoignis mes amis. Nous restâmes tranquillement pendant une semaine, à trente milles plus loin, et alors nous allâmes à Kersoff, et de là chez des amis près d’Odessa. Là, nous nous embarquâmes tous les trois sur le vapeur italien Florestina, où je fus employé comme mécanicien. De Constantinople, nous nous rendîmes en France.


Tel était le crime d’Hartmann. Une montre en or, qu’il avait donnée en paiement à l’électricien de Moscou, mit la police russe sur la trace des auteurs de l’attentat. En effet, cette montre fut reconnue par un horloger de Saint-Pétersbourg, qui retrouva sur ses registres le nom et l’adresse d’une dame à laquelle il l’avait vendue ; et celle-ci ne fit aucune difficulté pour reconnaître qu’elle l’avait donnée à un nommé Hartmann.

Ce n’était donc pas au hasard que l’ambassadeur de Russie à Paris avait requis du préfet de police Andrieux l’arrestation du prétendu Édouard Mayer. Une fois connu le nom du principal assassin, on avait retrouvé et suivi sa piste. C’est pourquoi le prince Orloff réclamait, au nom du tsar, l’extradition d’un aussi coupable criminel.

On n’a pas oublié la singulière attitude du gouvernement français en cette circonstance. Le cabinet était présidé par le F∴ de Freycinet ; le F∴ Cazot était à la justice, le F∴ Lepère à l’intérieur, le F∴ Jules Ferry à l’instruction publique. Ces francs-maçons allaient-ils remettre l’anarchiste criminel aux mains du gouvernement russe, qui le réclamait à bon droit ? Oh ! que nenni !

Le prétendu Édouard Mayer était bien Hartmann. M. Andrieux l’a reconnu formellement dans ses mémoires, publiés sous le titre de Souvenirs d’un préfet de police. Il dit : « Le résultat de la perquisition faite à son domicile, cour Saint-Philippe du Roule, son interrogatoire, la comparaison de sa personne avec les photographies que j’avais depuis plusieurs mois, ne pouvaient laisser aucun doute sur l’identité du prisonnier. Je m’étais rendu moi-même dans sa cellule, et mes observations personnelles avaient pleine-