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viennent de l’apercevoir et semblent se consulter à voix basse à son sujet, elle s’éloigne rapidement, en leur jetant un regard chargé de haine. Le cocher est retourné vers elle ; elle lui déjà qu’elle est malade et de la ramener là où il est venu la prendre.

Là, elle trouve le docteur V*** ; celui-ci, ayant reçu sa courte lettre, s’était empressé d’arriver, voulant tenter un dernier effort pour la dissuader ; arrivé trop tard, il allait se retirer. Il remonte et l’accompagne dans sa chambre. « Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il ? » Au premier moment, elle ne veut ou ne peut rien dire. Les douleurs ont redoublé et continuent de plus en plus fortes. Elle est prise de vomissements, elle se croit perdue.

Alors elle éclate en malédictions

— Maudits soient les maléachs, crie-t-elle, qui m’ont pénétrée, qui me torturent, qui m’ont empêchée et m’empêchent de remplir ma mission !… Oui, maudits, maudits les invisibles ! Mille fois soit maudit Adonaï !

Le docteur V*** veut la secourir, la soigner. Elle refuse ses services, elle est affolée, elle n’a plus confiance en lui.

— Ce n’est pas ici, rugit-t-elle, que je puis être délivrée des maléachs… Non, non, docteur, allez-vous-en, laissez-moi… Ou plutôt, faites comme vous voudrez ; restez à Rome, vous ; c’est votre affaire… Moi, je ne veux pas rester une heure de plus dans cette ville maudite… Adonaï et ses maléachs m’accablent… Retirez-vous, retirez-vous, je vous dis… Je ne veux personne à mon aide… Ah ! Dieu-Bon : Dieu-Bon ! luttez pour moi ; seul, vous me sauverez !…

Un moment, la douleur paraît s’apaiser. Le docteur V*** insiste ; elle le repousse, le menace. Il sort. — Il dit plus tard à son fils qu’il avait cru à une crise quelconque, vu son refus de s’expliquer sur ce qu’elle ressentait, et qu’il était allé prévenir ses amis, pour aviser aux moyens de l’empêcher de faire quelque esclandre et de les compromettre. — Elle, alors, règle ce qu’elle doit à son logeur, fait mander une nouvelle voiture, s’informe du premier train en partance, donne ordre de lui expédier ses bagages en gare de Naples, et gagne en fiacre l’embarcadère de Termini, munie seulement de ce qui lui est indispensable, pour prendre l’express, profitant du répit que le mal semble lui laisser.

Je l’avais écoutée, sans manifester mes sentiments, comprenant très bien que c’était là une maladie subite dont Dieu l’avait frappée au moins pour lui donner à réfléchir. Je ne crus pas utile de la prêcher ; j’avais encore à poursuivre mes enquêtes, et il ne fallait, à aucun prix, me démasquer à ses yeux ; du reste, je ne la voyais plus maintenant en danger immédiat de mort, quoique son état fût très grave. En moi-même, je priai Dieu de l’épargner ; mais je me promis, toutefois, au cas où je ne serais pas exaucé, de veiller plus attentivement que jamais sur elle, et, au moment nécessaire de lui amener un prêtre, à qui j’aurais tout révélé.