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de s’associer à elle dans cette coupable entreprise qu’elle se rendit auprès du docteur.

Sur ce point, qui est-ce qui s’est trompé ? Je l’ignore. Le fils V*** n’était pas chez Lemmi ; mais il a eu du docteur son père des détails très précis, et ni son père ni lui ne peuvent être rangés dans la catégorie des cerveaux troublés. Par contre, quarante heures ne s’étaient pas passées depuis ce dîner historique, au moment où Sophia me le narra, et quel intérêt aurait-elle eu de m’énumérer cinq noms, s’il n’y avait eu que quatre convives en dehors de l’amphitryon et d’elle ?

On le voit, j’avais raison de dire que cette contradiction valait la peine d’être signalée. Elle ne peut, en tout cas, infirmer en rien la valeur du récit, à cause de tous les autres détails qui concordent dans les deux versions, à cause de la preuve qui m’a été communiquée du billet d’entrée obtenu par voie détournée, exactement à la date dont il s’agit. Mais j’avais le devoir de mentionner cette divergence de versions, parce que le souci de l’exactitude ne saurait être poussé trop loin en un aussi grave sujet.

Ce n’est pas tout ; mais ce qui va suivre n’est pas une contradiction.

Le fils V***, rapportant ce qu’il tient de son père, a complété, en ce qui concerne l’avis exprimé par Lemmi, ce que Mlle Walder m’avait répété. Lemmi fut entièrement de l’avis de Pianciani, quant au mépris apparent qu’il fallait opposer à l’encyclique pontificale ; il blâma la résolution de Sophia et lui développa ses arguments pour la faire renoncer à son dessein. Mais il ajouta que, si l’occasion se présentait de faire expier à Léon XIII par la mort sa déclaration de guerre à la franc-maçonnerie, il ne faudrait pas la laisser échapper. C’est à l’acte d’un isolé qu’il était opposé, surtout si pour accomplir la vengeance il était nécessaire de laisser croire que l’ultionniste ne jouissait pas de sa raison, et, par conséquent, de le renier ou de cacher son affiliation à l’Ordre. L’expiation, accomplie de cette façon, serait funeste à la cause sainte, expliqua-t-il. Au contraire, il était plus adroit d’entretenir la haine nourrie contre le pape par certains hommes résolus de la population romaine, jusqu’au jour où, arrivée à son paroxysme, elle éclaterait : alors, à la faveur d’une émeute savamment préparée, on pourrait faire envahir le Vatican, — cela entrait mieux dans le plan maçonnique, — et le massacre de Léon XIII, paraissant être un acte de justice populaire, l’Ordre n’en serait pas accusé devant l’opinion publique européenne.

Enfin, quelles qu’aient été les opinions ainsi formulées, Sophia n’en avait pas moins persisté dans son exécrable projet. Toutefois, sans dire qu’elle l’abandonnait positivement, elle avait déclaré qu’elle allait réfléchir et se coucher. « La nuit porte conseil, fit Pianciani ; notre jeune sœur renoncera à sa funeste équipée. » Hobbs, lui, ricanait.