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Quant à Lemmi, il laissa d’abord Sophie longuement s’expliquer. Elle répéta qu’elle se sacrifiait volontiers ; qu’une fois prise, le coup mortel porté, il serait impossible de lui arracher le secret de son identité, et de cela tous étaient bien certains, on savait de quoi elle était capable ; elle exposa qu’elle donnerait seulement le nom sous lequel elle avait été censément en cure chez le docteur V*** et qu’elle ne le dirait qu’au bout de quelques jours, afin de donner à celui-ci le temps de regagner sa retraite ; enfin, elle fit ressortir que tout avait été bien combiné pour que, réussissant ou non, son crime passât sur le compte de la folie. Lorsqu’on viendrait à interroger le docteur V***, celui-ci la reconnaîtrait, non pour Mlle  Walder, mais pour une jeune femme inconnue ayant fait appel à ses soins accidentellement et qu’il avait, au cours de sa cure, considérée comme complétement détraquée. Ainsi, la maçonnerie ne serait pas compromise.

Lemmi désapprouva tout, et en termes très formels : pour une fois dans sa vie, il parla le langage de la modération et du bon sens ; il mit tous ses efforts à calmer Sophia. Celle-ci fut désenchantée ; car elle s’attendait à avoir son approbation.

Ici, je dois ouvrir une parenthèse. J’ai eu, de deux côtés, le récit de ce débat intime du 31 mai, et il est indispensable, avant d’aller plus loin, de signaler les différences entre les deux versions, d’autant plus que sur un point il y a une contradiction très importante.

Je viens de relater là ce que Mlle  Walder me débita à Naples, dans les circonstances que j’ai d’abord rapportées, c’est-à-dire le 2 juin au matin : les notes que je pris ensuite sont brèves, mais me parurent suffisantes, et je ne pense pas que ma mémoire m’ait trompé ni que j’aie mal compris. Il est évident, d’autre part, — est-il besoin de le dire ? — qu’aujourd’hui la triste héroïne ne se prêterait pas à une interview sur ce sujet. Or, il me semble bien certain qu’alors Sophia m’indiqua Bordone comme étant au nombre des convives et comme ayant combattu son projet, tout en disant s’incliner d’avance devant ce que déciderait Lemmi. Mais depuis lors, quand une preuve capitale de la présence du docteur V*** à Rome et de l’obtention réelle du billet d’entrée au Vatican m’a été communiquée, j’ai eu d’autres renseignements d’une source différente : quelqu’un en qui j’ai lieu d’avoir confiance et qui me parlait d’après le fils du docteur V*** ; celui-ci tenait les faits de son père même. Il me fit affirmer que Bordone n’était pas là. Pourtant, Mlle  Walder m’a certainement signalé sa présence, sans y insister autrement il est vrai ; moi, je n’avais, on le comprendra, aucune raison, en arrêtant mes notes, de joindre son nom à ceux des autres. Le fils V*** sait que Bordone fut contraire au projet criminel ; mais il dit que Mlle  Walder ne vint pas directement de Zurich à la résidence de son père, et il estime qu’elle dût regagner d’abord Paris, y voir Bordone, et que c’est sur le refus de celui-ci