Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce que son fils, aujourd’hui aussi lié d’amitié avec miss Diana Vaughan qu’il l’était, lui, avec Sophie Walder, a remis à miss un document des plus précieux, lequel m’a été communiqué, relatif au crime manqué dont je vais parler, et parce que cette communication ne m’a été faite que sous la condition expresse que le nom du docteur en question ne serait pas imprimé.

Mlle Walder, au comble de sa fureur satanique, quitta donc Zurich et vint trouver le docteur V*** dans sa retraite. Elle lui fit part de son projet, qu’il approuva. Il s’agissait, ni plus ni moins, d’assassiner Léon XIII, en pénétrant dans le Vatican n’importe comment. Néanmoins, l’essentiel était que le crime ne pût pas retomber sur la secte. Sophia se dévouait, pour le cas plus que probable où elle ne parviendrait pas à s’échapper, une fois le meurtre commis. Et voici comment le forfait avait été combiné :

Sophie Walder passa quelques jours chez le docteur, qui délivra un certificat, devant servir le cas échéant et attestant d’une façon discrète qu’elle ne jouissait pas de l’intégrité de ses facultés mentales. Puis, ils vinrent, elle et lui à Rome, sous deux faux noms qui ne m’ont pas été révélés. J’ignore aussi où ils descendirent, sachant seulement qu’ils se tinrent séparés l’un de l’autre ; mais j’ai tout lieu de croire que c’est à l’Anglo-American Hôtel, via Frattina, que le docteur V*** se logea ; car c’est cet hôtel qui procura un billet d’entrée au Vatican, évidemment sans que personne se doutât de l’usage qui devait en être fait. Le billet remis à Sophia, admise comme étrangère momentanément à Rome, celle-ci comptait qu’en se mêlant à la foule pieuse et privilégiée qui s’agenouille au passage du Pape, lors de l’audience publique, elle pourrait sans peine frapper le Souverain Pontife d’un coup de poignard.

La malheureuse égarée me dit qu’en dehors du docteur V***, cinq frères de la haute-maçonnerie furent mis au courant de cet exécrable projet, parmi lesquels Lemmi : la veille du jour qui avait été définitivement choisi, Lemmi donna un diner intime ; Sophia, le docteur V***, Hobbs, Pianciani, Cresponi, et aussi, m’a-t-elle assuré, Bordone, y assistaient. C’est là que Mlle Walder fit connaître son dessein au souverain grand-maître du Directoire Exécutif et à ses convives.

Toutefois, il est juste de dire que, sauf Hobbs, venu on ne sait pourquoi en Italie à cette époque, tous s’efforcèrent de la dissuader. Le docteur V***, qui avait tout préparé, recula presque, au dernier moment. Bordone et Cresponi eux-mêmes furent opposés à ce crime, quoiqu’en disant qu’ils s’en rapporteraient à la sagesse du grand-maître. Le comte Pianciani, lui, fut résolument contraire et fit valoir qu’un tel acte, accompli si peu de temps après l’encyclique, ne tromperait personne, quant à ses inspirateurs ; il fallait, dit-il, dédaigner la bulle et laisser vivre son auteur, en le couvrant de mépris.