Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rédacteur de la Central News Agency. On constatera le cynisme de l’assassin, fier de son forfait, n’ayant pas un mot de pitié pour le mécanicien, le chauffeur et le chef de train, ses victimes, et ne regrettant que d’avoir manqué Alexandre II ; car Hartmann fit sauter un train de marchandises, qui précédait celui du tsar ; il avait été avisé que l’empereur serait dans ce train-là, et non dans le train officiel.

Voici donc la relation, telle qu’elle a été recueillie de la bouche même de l’assassin :


« Après avoir fait de la propagande dans plusieurs parties de la Russie, — ce qui me fit arrêter et incarcérer à Kiew, d’où je m’échappai, grâce à l’énergie du comité de Saint-Pétersbourg, — je fus chargé d’exécuter le tsar. J’ai des connaissances pratiques sur les choses militaires et sur les substances explosibles, et je suppose que je fus choisi pour ce motif.

« Arrivé à Moscou, je louai une petite maison à quelques milles de la ville et située à environ quarante yards (un peu moins de quarante mètres) de la principale ligne de chemin de fer. La maison était en mauvais état. Je portais un costume d’ouvrier ; je vivais tranquillement, et pendant quelque temps je fis comme si j’arrangeais ma maison.

« Lorsque je fus convaincu que tous les soupçons étaient écartés, je me mis à l’œuvre, aidé de deux compagnons, dont l’un était depuis longtemps mon collègue. La maison la plus proche était presque hors de la portée de la vue : et, le soir, tandis que deux d’entre nous faisaient le guet, le troisième creusait, avec une bêche, une petite tranchée dans le sol glacé. La tranchée avait cinq pouces en largeur et en profondeur.

« Elle allait de la voie ferrée à une petite maison dépendante de mon habitation. Le sol était très dur, et, comme nous devions prendre des précautions, le travail dura plusieurs jours. Nous posions à mesure, dans la tranchée, quatre fils métalliques isolés, et chaque soir, après avoir terminé notre travail, nous remplissions la tranchée ouverte ce jour là, en effaçant avec soin toute trace d’excavation. La tranchée était creusée le long d’un sillon, en plein champ.

« Nous fabriquâmes nous-mêmes la dynamite dans la maison, et elle fut renfermée dans quatre fortes poudrières en fer, dont chacune contenait un peu plus d’une livre anglaise de cette substance.

« Tout était presque en état, lorsque notre plan faillit échouer, parce que l’électricien de Moscou, dont les soupçons s’était éveillés, refusa de livrer les batteries qui devaient faire jouer la mine. Mes camarades et moi, nous désespérâmes presque, nous qui, peu d’heures auparavant, nous félicitions d’avoir achevé notre travail.

« Les poudrières contenant la dynamite avaient été posées avec soin dans un grand trou creusé entre les rails et sous des traverses en bois. Ma résolution fut bientôt prise. J’envoyai mes camarades chez un paysan de nos amis, à quelques milles au sud, et je m’occupai moi-même de me procurer des batteries électriques. Avec quelques difficultés, je finis par persuader à l’électricien de me les confier, et je retournai passer la nuit tout seul dans ma maison. Je mis les fils en communication, et tout fut prêt pour le train qui allait passer.