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pauvre aveugle : je révèle un secret des triangles, un secret de haute-maçonnerie, et non un secret professionnel.

Trois années s’étaient écoulées depuis que j’avais vu Mlle Walder pour la première fois à Charleston. Elle m’avait appris alors son vif désir de venir en Europe ; mais elle n’était pas encore libre de réaliser son vœu, ou pour mieux dire, elle n’avait pas réussi à convaincre les Chambers, chez qui elle habitait, de l’avantage que la secte retirerait, si on l’autorisait à entreprendre ses voyages de prosélytisme, tant rêvés. Cependant, en 1881, son père, le vieux Philéas, était venu fonder en France le premier atelier palladique, la Mère-Loge le Lotus de France, Suisse et Belgique, qui, établie à Paris, devait bientôt rayonner sur les trois pays et y fonder d’autres ateliers triangulaires, Enfin, en 1883 ; Sophie avait obtenu l’autorisation désirée, et, sauf erreur, c’est vers la fin de l’année qu’elle quitta l’Amérique pour l’Europe ; en tout cas, elle était en 1884 à Paris, où son père avait chargé le F∴ Armand Lévy, premier Grand Représentant du Directoire Exécutif pour la France, de veiller sur elle. C’est en 1884 que fut constitué le triangle parisien Saint-Jacques. Sophie, qui, à l’âge de dix-neuf ans, avait déjà reçu toute l’initiation palladique, d’Albert Pike lui-même, vu son étonnante précocité, avait été nommée grande-maitresse du nouveau triangle, en vertu des pleins pouvoirs dont Philéas Walder disposait. On sait que le grand-maitre était le F∴ Bordone.

Dans le premier trimestre de 1884, je fus tout ailleurs qu’à Paris, et, lorsqu’au milieu de mai, je pus disposer d’un congé, ce fut pour venir en Italie, au sujet de l’affaire à laquelle j’ai fait allusion plus haut ; j’ignorais totalement où en était le palladisme en France, à peine dans sa première période d’installation et commençant seulement à prendre ses dispositions pour s’y développer, ainsi que dans les deux pays voisins (Suisse et Belgique).

Lorsque le Saint-Père promulgua l’encyclique Humanum Genus (20 avril), il y eut des cris de colère dans les loges ; dans les triangles, ce furent des cris de rage. Sophie était à ce moment à Zurich, où, munie de recommandations du F∴ Ruchonnet, un des membres du Suprême Conseil de Lausanne à qui elle avait été présentée à onze ans, ainsi que je l’ai raconté dans mon premier volume, elle sondait les diverses sœurs de la loge écossaise Modestia cum Libertate, pour voir celles qui seraient le mieux disposées à créer un premier triangle suisse ; là, le recrutement était des plus faciles.

L’encyclique de Léon XIII la mit dans une fureur indicible. Il y eut, à la loge de Zurich, une réunion en tenue androgyne, où la bulle pontificale fut brûlée solennellement. Sophie, qui était là comme visiteuse haut-gradée, avec ses patentes de Charleston, mais sans toutefois faire connaître son palladisme, — on travaillait seulement en troisième degré d’Adoption, — réclama et obtint l’honneur de jeter dans le feu le journal catholique suisse qui avait reproduit le document du Saint-Siège.