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Mais il y a une chose que l’on sait : c’est que le prétendu comte de Saint-Germain fut un des plus actifs organisateurs de la franc-maçonnerie. Dans ses incessants voyages, il voyait partout les chefs, les stimulait, les inspirait, et, sans jamais se mettre en vedette, il jouait en tous pays le rôle de grand initiateur. D’aucuns en ont conclu que la maçonnerie fut peut-être la source de sa mystérieuse fortune. Mais il faut observer que la secte ne fonctionnait pas alors comme de notre temps, et que, s’il recevait d’elle tant d’argent pour suffire à ses dépenses inouïes, l’enquête de deux années qui fut exercée par la police royale aurait bien découvert au moins une lettre de change représentant un envoi de fonds. Or, c’est là ce qu’il ne faut pas perdre de vue : il n’alla jamais chez un banquier, personne ne vit entrer de l’argent chez lui, et c’est au contraire par sommes fantastiques que l’or, les espèces sonnantes, sortaient de ses mains. Chef franc-maçon, lui, il le fut ; mais, au point de vue pécuniaire, rien ne montre en lui un exploiteur de la secte.

Aussi, j’en reviens à ce point d’interrogation que j’ai posé tout à l’heure : le diable ne revêt-il pas parfois la forme humaine, pour se mêler plus directement aux nations et à leurs gouvernants ? le mystérieux et indéchiffrable comte de Saint-Germain ne fut-il pas une de ces manifestations énigmatiques du démon ?

Et, si l’on admet les manifestations de ce genre, — je ne pense pas que cela soit contraire à la théologie, — à plus forte raison peut-on admettre la possibilité d’incarnations, c’est-à-dire de possessions latentes, cas où le diable s’installe à demeure fixe chez un être humain, dès sa naissance ; telle est Sophie Walder.

Cependant, cette question est tellement délicate, qu’on ne saurait l’aborder qu’avec la plus grande réserve. En Sophie, il y a, en effet, le corps humain soumis à toutes les lois ordinaires de la nature (croissance, effets des années, maladies, etc.), et, d’autre part, en de certaines circonstances, ce corps bénéficie — si je puis ainsi m’exprimer — de certains privilèges extranaturels. Tels faits merveilleux, accomplis par les saints, sont reproduits identiquement, mais en vue d’œuvres mauvaises, par les possédés à l’état latent. Dieu veut que ses saints opèrent des miracles, afin de confirmer d’une manière éclatante, aux yeux des peuples, l’existence du surnaturel ; mais aussi, pour le châtiment des nations coupables, il permet parfois aux puissances infernales d’accomplir tels et tels prestiges.

Que Sophie Walder soit sujette aux maladies, comme le commun des mortels, cela ne fait pas l’ombre d’un doute pour moi qui l’ai étudiée de près et qui ai même eu à la soigner dans une occasion inoubliable. Que, d’autre part, son corps de possédée latente ait, quand Dieu le tolère, la faculté de produire certains phénomènes ou d’être pour ainsi dire un champ d’expériences de haute magie, cela ne me parait pas douteux non plus.