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une telle munificence qu’on eût dit qu’il en avait une mine inépuisable dans son appartement.

M. de Gleichen ayant été reçu chez lui, le comte lui fit voir sa collection d’œuvres rares et de tableaux de maitres, tous empreints, raconta-t-il, d’un certain degré de perfection et de singularité qui les rendait plus intéressants que des morceaux de premier ordre. Il y remarqua, entre autres, une Sainte Famille de Murillo qui lui parut supérieure aux Raphaël de Versailles. Ce ne fut pas tout : le comte lui exhiba une telle quantité de diamants et de pierreries, de nuances et de grandeurs si surprenantes, que le baron crut voir tous les trésors d’un conte des Mille et une nuits, « Il y avait, entre autres, dit-il, une opale d’une grosseur monstrueuse et un saphir blanc de la taille d’un œuf. J’ose me vanter de me connaître en bijoux, et je puis assurer que l’œil ne pouvait rien découvrir qui fît même douter de la finesse de ces pierres, d’autant plus qu’elles n’étaient pas montées. »

Saint-Germain se borna à étonner les personnes qui le connurent. Il ne se livra pas, dans les salons, comme Cagliostro le fit, à des opérations magiques. Si l’histoire de la femme Radegonde est vraie, elle est un cas exceptionnel. Surtout, il intriguait et la cour et la ville par son origine mystérieuse et son faste royal. On a émis l’hypothèse qu’il pouvait être subventionné par une ou plusieurs puissances étrangères ; cependant, les auteurs s’accordent sur ce point qui dément cette supposition : c’est qu’on ne lui vit jouer nulle part le rôle d’espion diplomatique. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’il alla dans tous les pays et que, si, même en dépistant toutes les polices, il avait eu des missions de ce genre, des traces en, seraient restées ; or, cela aujourd’hui se saurait, les hommes d’État : aimant toujours à laisser des mémoires pour être publiés cinquante ou soixante ans après leur mort. Et relativement au comte de Saint-Germain qui a tant, et tant défrayé les chroniques au xviiie siècle, la postérité ne sait rien, absolument rien.

Il disparut aussi mystérieusement qu’il était venu. En dernier lieu, après avoir joué un rôle occulte dans la révolution de Russie, après : avoir séjourné vingt ans en Italie, en Prusse, en. Allemagne, il fut appelé à Eckernfærn, dans le duché de Sleswig, par le landgrave Charles de Hesse, prince passionné pour les sciences hermétiques. On n’a jamais su au juste ce qui se passa entre ces deux personnages ; ils vécurent d’une amitié mystérieuse pendant assez longtemps. On apprit enfin que Saint-Germain était mort à Eckernfœrn, quelques années avant l’éclosion de la révolution ; mais sa tombe resta aussi introuvable que son berceau. Jamais on ne put arracher à Charles de Hesse le moindre renseignement sur ce personnage énigmatique dont il avait été le seul confident ; c’est à lui que Saint-Germain légua ses papiers, lors de sa disparition définitive ; Charles les conserva quelque temps et finit par les détruire.