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femme qui avait avalé la fiole). « Mais me voilà, madame, s’écrie cette fille, ne suis-je plus reconnaissable ? » Et, se regardant au miroir, elle voit avec la dernière surprise qu’elle paraissait à peine avoir seize ans, quoiqu’elle en eût quarante-cinq.

« Toute la France, frappée d’un évènement aussi merveilleux, a crié en miracle ; mais l’étranger était parti, et l’infortunée dame se trouva condamnée à figurer parmi les sexagénaires.

« C’est ainsi que ce fait se raconte à Paris et qu’on le contera sans doute pendant plusieurs générations. Etait-ce la liqueur de la fiole qui avait transformé en fille de seize ans la femme de quarante-cinq ? Cette métamorphose n’avait-elle pointé été arrangée par le comte ? Je n’entreprendrai pas de le décider. »


Ce récit, s’il est sincère, a une certaine valeur ; en tout cas, il est authentique. Il donné une idée de ce qui se racontait au sujet du comte de Saint-Germain. Quant au fait merveilleux produit par le contenu de la fiole enchantée, il faut ou le rejeter totalement, comme étant inventé à plaisir par un premier narrateur, ou l’admettre rigoureusement en tant que prestige diabolique ; il ne saurait y avoir de milieu, et la deuxième solution, indiquée par le London Cronicle, celle d’une comédie réglée par le comte et exécutée par la femme Radegonde, parait inadmissible, dès qu’on examine de près la possibilité d’une telle supercherie.

D’autre part, si le récit du journal anglais est discutable, il n’en est pas de même de ceux publiés à l’époque même par des gens connus et qui ont toute la valeur de vrais témoignages ; tels sont ceux qui émanent de Mme  du Hausset et du baron de Gleichen, le diplomate danois. Grimm constate que ce que Saint-Germain obtenait par la chimie était extraordinaire. On sait que Louis XV lui confia un jour un diamant superbe, mais taché, estimé à 6.000 livres seulement à cause de la tache, que tous les joailliers se déclaraient impuissants à faire disparaître ; Saint-Germain le rapporta au roi dans une toile d’amiante ; la tache avait disparu, et le diamant avait doublé de valeur. Or, c’était en quelque sorte une épreuve qu’on avait fait subir au comte, sans qu’il s’en doutât ; le diamant, minutieusement examiné et pesé auparavant, n’avait pas été changé par le comte. Il savait fondre plusieurs petits diamants en un seul ; et, s’il y a là un simple secret humain, il faut reconnaître qu’il n’a pas été retrouvé. Entre ses mains, les perles grossissaient ; à des perles communes, il donnait la plus belle eau.

Mme  du Hausset raconte dans ses Mémoires qu’il était toujours littéralement couvert de pierres précieuses. À Versailles, un jour de gala, il se présenta dans un costume enrichi d’une telle profusion de diamants qu’il était douteux que le roi lui-même pût en posséder autant. M. de Gontaut estima à un minimum de 200.000 livres ses seules boucles de souliers et des jarretières. Et il distribuait ses fameux diamants aux dames de la cour avec