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bientôt la mine d’où il tirait son or. Mais il fit inutilement les plus exactes perquisitions sur le papier et sur les lettres de change où il voyait cette mine. Pendant deux années que durèrent ces perquisitions, il vécut à l’ordinaire, paya partout en espèces sonnantes, et l’on ne put découvrir une seule lettre de change qui fût entrée pour lui dans le royaume ; tout semblait donc confirmer l’opinion qu’il possédait la pierre philosophale, et on en vint bientôt à penser qu’il possédait aussi la panacée universelle pour toutes les maladies et même pour ces infirmités, suites inévitables de l’âge et de la caducité.

« On raconte de lui, à ce dernier titre, des choses étranges. Une femme de la première qualité en voulut faire l’essai. Dévouée à la coquetterie, elle voyait avec douleur le commencement des ravages que faisait le temps sur son visage. Elle va trouver l’étranger. « Monsieur le comte, lui dit-elle, ce que je vais vous dire vous paraitra peut-être un peu crû ; mais vous êtes la complaisance même, et je vais au fait. On assure que vous avez un talent préférable au secret que vous y joignez de faire de l’or, le talent de réparer et même de prévenir les outrages de la vieillesse. Je suis encore à l’abri de ces outrages ; mais les années s’écoulent et je ne voudrais pas attendre le besoin. Parlez-moi franchement : possédez-vous cette espèce de remède ? Voulez-vous m’en faire part ? quelles sont vos conditions ? »

« L’inconnu, s’enveloppant dans une contenance mystérieuse, lui répondit que ceux qui possèdent ces secrets évitent qu’on le sache. « Je ne l’ignore point », réplique la consultante, qui l’assure de sa discrétion. Le consulté, vaincu, promet, et dès le lendemain il apporte à la dame une fiole de quatre à cinq cuillerées et lui dit qu’il faut prendre dix gouttes de cet élixir dans le premier quartier et dans le plein de la lune ; que ce remède était très innocent, mais infiniment précieux, et que, si on le prodiguait, il ne serait peut-être pas possible de le renouveler.

« La dame enferma la fiole en présence de ses femmes, et, soit pour leur cacher sa faiblesse, soit pour éluder leur curiosité, elle leur dit que c’était un remède pour la colique.

« Dans la soirée même, la première des femmes, saisie de violentes tranchées, court à la fiole, l’ouvre, la porte au nez, goûte la liqueur, et, en trouvant la saveur aussi délicieuse que l’odeur, avale toute la fiole. L’effet en est aussi heureux que subit. La liqueur était claire comme de l’eau ; pour cacher son larcin, la femme remplit la fiole d’eau commune, dans l’espoir que sa maitresse ne sera pas sitôt dans le cas d’en faire usage, et elle tombe dans un profond sommeil.

« Vers le lever du soleil, la dame rentre chez elle, monte à son appartement, fait appeler ses femmes pour la déshabiller, et, jetant les yeux sur celle qui avait avalé la fiole : « Que faites-vous chez moi ? lui dit-elle ; que demandez-vous ? d’où sortez-vous ? » La femme répondant par une profonde révérence : « Enfin, que faites-vous ici ? continue la maîtresse d’un ton d’humeur ; je ne vous ai point mandée, retirez-vous. — Madame me traite avec une dureté qui n’est pas ordinaire, réplique la femme ; je n’ai jamais manqué à mon devoir : j’ai eu le malheur de m’endormir, mais est-ce un crime ? — Vous voulez m’en imposer, reprend la dame ; je ne vous connais point, je ne vous ai jamais vue nulle part ; je n’ai point eu à mon service de femme aussi jeune que vous. » Elle sonne aussitôt et demande Radegonde {c’était le nom de la