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qu’exclut sa conduite. Ils lui pourraient convenir en nous bornant à signifier un homme, j’ai presque dit un seigneur, qui fait grande dépense, qui ne tient à rien, dont on ignore les ressources, qui ne fait aucun usage de celles qui soutiennent les escrocs, et que dans aucun pays personne n’a accusé d’avoir fait tort à qui que ce soit.

« Nos lumières sont aussi courtes sur son pays que sur sa naissance. Les conjectures les plus hasardées suppléent à ces lumières[1], et la perversité du cœur, qui suppose et voit partout le mal, a bâti sur ce fondement des histoires aussi ridicules qu’injurieuses pour celui qui en est le héros. Il serait cependant de l’équité de s’abstenir de juger avant que de connaitre, et de l’humanité de ne point adopter par prévision des contes absurdes et sans fondement. En se bornant à ce qu’on connaît, on ne peut voir en lui qu’un inconnu à qui personne n’a rien à reprocher et qui a des ressources particulières pour soutenir la figure qu’il fait depuis si longtemps.

« Il parut en Angleterre, il y a plusieurs années ; il a depuis parcouru les principales cours de l’Europe avec un train et l’éclat qui annoncent les étrangers de la première distinction.

« Le maître de Gil Blas ne manquait jamais d’argent, sans qu’on sût d’où il le tirait ; c’est l’histoire de l’inconnu qui nous occupe. Sa conduite étudiée et suivie dans les circonstances les plus délicates n’a rien offert que d’innocent et de régulier. Il y a cette différence entre le héros du roman et le nôtre, qu’il semble avoir tous ses trésors renfermés dans un mince volume d’une forme inconnue et que l’on pourrait comparer à la fiole où les alchimistes renferment les principes qui font la base de toutes leurs opérations ; on n’a jamais vu décharger à sa porte les tonnes d’argent dont il aurait eu besoin pour soutenir le train de sa maison.

« Habile à saisir le goût dominant de chacune des nations parmi lesquelles il s’est montré, il en a su profiter pour se rendre partout intéressant et agréable. À son premier voyage en Angleterre, il nous trouva fous de la musique et nous enchanta par ses talents pour le violon ; talents si marqués, qu’on pouvait dire, avec un de nos poètes, qu’il était né avec cet instrument à la main. L’Italie le vit égal à ses virtuoses et à ses premiers connaisseurs dans toutes les productions anciennes et modernes des beaux-arts. L’Allemagne le mit au pair de ses chimistes les plus exercés.

« L’étendue et la variété de ses connaissances ont été pour lui des recommandations d’autant plus puissantes, qu’en quelque part qu’il ait voulu briller il n’a jamais paru avoir su ni fait autre chose que ce qu’il faisait actuellement. En musique, par exemple, il exécutait et composait avec une égale facilité et le même succès ; sa conversation était toujours relative à cet art, il lui empruntait mille termes figurés.

« D’Allemagne il apporta en France la réputation d’un alchimiste consommé, possesseur de la pierre philosophale et de la médecine universelle ; on disait qu’il faisait de l’or ; propos accrédité et soutenu par l’éclat de son train et de sa dépense. La chose alla jusqu’au ministre, qui dit en souriant qu’il éventerait

  1. On avait dit que Saint-Germain était un marquis de Betmar, portugais ; puis, un jésuite espagnol, du nom d’Aymar : puis, un juif d’Alsace, nommé Wolf ; puis encore, le fils d’un receveur des contributions d’Aix, M. Rotondo ; enfin, un fils naturel de Marie de Neubourg, reine l’Espagne, veuve de Charles III. Aucune de ces origines imaginées par la médisance ne put être prouvée.