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réagissant, par conséquent, vis-à-vis de leur propre état d’une façon toute différente de celle des autres possédés, d’une façon plus calme et moins tangible pour nous.

En d’autres termes, le possédé ordinaire crie, se débat, vocifère et souffre physiquement ; le diable, qui est en lui accidentellement, le tourmente, le brûle, le pince, le mord, le roule ; et il se débat, regimbe contre cet état anormal, il a un être étranger en lui. C’est, en somme, un humain provisoirement et artificiellement possédé : il est malade ; son abcès crève, le pus immonde sort, il est soulagé, guéri. Le possédé latent, au contraire, ni ne se débat ni ne vocifère, ni ne souffre physiquement de son état ; il n’a pas en lui un être étranger, mais bien quelque chose ou quelqu’un qui est de lui et dont il est. Il n’est pas malade de son abcès ; il ne demande pas à ce qu’on le lui crève : il vit de son propre pus immonde, le porc infernal mange son propre lard. S’il souffre, c’est surtout moralement ; il souffre de la haine furieuse des démons contre Dieu. Là, par exemple, sa souffrance est intense, inouïe, si j’en juge par Sophie qui a par moments des crises morales effroyables et bien supérieures aux crises physiques.

Du reste, ce sont là de pures hypothèses ; le lecteur sait que je ne m’aventure pas sur ce terrain et que j’aime mieux rester dans le domaine des faits vus et contrôlés. C’est à ce titre que je vais parler de ce que j’ai vu, des faits auxquels j’ai assisté et de ceux que je tiens de personnes qui, me croyant en union d’esprit avec eux, me les ont rapportés fidèlement, n’ayant aucun motif de me tromper.

La Ingersoll, dont j’ai parlé à la fin du chapitre la Possession et les démoniaques (voir au premier volume, pages 954 et suivantes), me paraît être la transition entre les possédés au plus haut degré, entre les démoniaques extraordinaires, mais non latents, et les possédés à l’état latent. Les prodiges qu’elle opère, et dont quelques-uns ont été consignés par Albert Pike, atteignent au merveilleux obtenu par les possédés latents ; mais il y a entre elle et les démoniaques dont je vais maintenant m’occuper, cette différence tout à fait caractéristique : c’est que les possédés latents se mettent d’eux-mêmes à l’état voulu pour opérer le prestige, tandis que la Ingersoll a besoin du concours des Mages Élus.

Je crois bien avoir présenté la situation, en insistant sur ce que cette vocate américaine est, avant tout, un bon sujet de laboratoire luciférien. Elle est, ai-je dit, un des meilleurs types de l’élément expérimental. Les Mages Élus évoquent les esprits du feu, et c’est à leur appel qu’ils entrent en elle et se livrent à leurs prestiges, à leurs contrefaçons de miracles ; puis, ils la délivrent : mais ce n’est point là un exorcisme, bien entendu. Dans le cas de la Ingersoll, les Mages Élus sont de connivence avec le démon ; elle, la malheureuse, est un corps affectionné par le diable, une matière préférée.