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comment ces âmes, qui sont censément des petites flammes célestes réintégrant à la fin des fins le pur et magnifique et divin foyer central, pourront-elles goûter les plaisirs d’un paradis à la mode de Mahomet ?…

Baste ! le diable méprise à tel point ses dupes, qu’il n’hésite pas à édifier un second système, en pleine contradiction avec le premier.

Les Élus lucifériens n’ont pas de corps ; mais, de temps en temps, le Dieu-Bon leur donne la permission de reprendre, immatériellement, la forme humaine qu’ils avaient aux derniers jours de leur existence terrestre. Et alors, — tenez-vous à quatre pour ne pas rire, — sous cette forme immatérielle, les Élus lucifériens jouissent de tous les plaisirs matériels, au plus haut degré, sans mélange d’aucune douleur, attendu qu’en dépit de l’apparence distinctive ils sont uniquement âmes, c’est-à-dire flammes, c’est-à-dire esprits.

Le soi-disant Jacques Molay nous expliqua ces belles choses. L’âme-Voltaire venait de lui raconter un grand dîner que Sa Divinité Lucifer avait donné la veille en son royaume du feu, et à son tour le crâne aux flammes parlantes nous répéta la narration. On s’était régalé du nectar et de l’ambroisie des dieux olympiens. Il y a ainsi de somptueuses ripailles chez Satan, nous assura le crâne.

J’eus, une seconde, l’envie de questionner : « Sans indigestion ? » mais je me retins à temps ; l’ironie de ma demande m’eût trahi. Je me bornai à m’efforcer de garder mon sérieux, et j’y parvins ; car le dégoût me prit bientôt, l’esprit diabolique racontant complaisamment les saturnales qui avaient suivi le prétendu festin des Élus du Dieu-Bon.

Dégoût et pitié, voilà quel était mon sentiment ; pitié, en constatant la profondeur de la déchéance. Pauvre nature humaine, dans quel abîme de boue tu es précipitée, lorsque, la foi étant perdue, tu deviens le jouet du démon !

Ainsi, Satan leur fait croire ces folies ; il les mystifie à outrance, en dosant de sensualités grossières et impures leur mysticisme de cerveaux détraqués. Tout cela n’est qu’absurdité, mensonge évident et bête, innovation ne résistant pas au plus minime examen ; tout cela n’est qu’impossibilité, sottise et contradiction, et les palladistes proclament qu’étant les seuls croyants qui savent allier la foi à la raison, ils sont, par conséquent, les seuls à posséder la vérité !

Quand le soi-disant Jacques Molay eût fini ses récits et ses explications, et tandis que Pike, voyant le docteur Gallatin Mackey reprendre ses sens, donnait l’ordre de rallumer les flambeaux de la salle, pendant que cette lumière naturelle remplaçait celle dont les flammes infernales nous avaient éclairés, je regardai mes compagnons autour de moi ; ils étaient émerveillés, leurs visages reflétaient un vrai ravissement.