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revêtir une apparence distinctive, une forme immatérielle ; pour les Élus, cette apparence est celle du corps humain qui n’est plus, tel qu’il était aux derniers jours de notre vie terrestre.

À ce moment, la voix cessa de se faire entendre, et le feu qui jaillissait du crâne diminua de violence, sembla s’apaiser ; à peine quelques petites flammes se montraient par les cavités, toujours sans consumer le crâne qui leur servait de cratère.

Albert Pike profita de ce répit pour nous expliquer que les esprits du feu, les Génies bienfaisants, ont adopté des formes particulières, pour les cas où ils ont à se rendre visibles, aussi bien lorsqu’ils daignent apparaître aux fidèles de la vraie religion (luciférienne) que dans leurs réjouissances intimes au royaume divin ou dans les combats contre les maleachs.

Puis, les flammes se reprirent à tourbillonner et à gronder de plus belle, comme tout à l’heure, et le diable invisible qui se faisait passer pour l’âme de Jacques Molay recommença ses explications.

Ce qui est inouï, en vérité, c’est la désinvolture avec laquelle le démon se moque des gens qui placent leur confiance en lui ; franchement, cela dépasse toutes les limites. Les contradictions les plus flagrantes sont pour lui un jeu ; il les entasse comme à plaisir. Rien ne l’embarrasse, quand il s’agit de frapper l’imagination de ses fidèles. Mais ce qui est plus inouï encore que l’audace de Satan dans le mensonge, c’est la crédulité aveugle de ces palladistes qui prennent pour argent comptant tout ce qui leur est débité, même les fantaisies les plus saugrenues et les plus invraisemblables, dans les séances du genre de celle que je relate.

En effet, Lucifer, pour faire de la théologie transcendante à sa manière, a posé en principe que l’âme humaine est une parcelle de sa propre substance divine, une étincelle de son esprit divin ; il émane de lui-même des âmes, dit-il, et il les rappelle à lui, il les réunit de nouveau à lui-même, lorsqu’elles ont mené, dans leur séjour sur une planète quelconque, une belle existence luciférienne. Que voilà une conception sublime ! comme cela est admirablement trouvé ! et les palladistes s’extasient, en nourrissant leur cervelle d’un tel idéal. Ils haussent les épaules, à la pensée du paradis, tel qu’il est défini par les Pères de l’Église ; ils rient, ils trouvent les catholiques bien niais d’avoir une croyance dont les grandes intelligences des triangles se moquent en blasphémant. Eux, à la bonne heure ! ils s’élancent en pensée dans les plus sublimes hauteurs morales, affirment-ils. Quoi de plus beau que cette théorie de l’âme fractionnée de Lucifer Dieu-Bon, opérant éternellement un double mouvement centrifuge et centripète !

Mais voici que messire Satanas a besoin d’aiguillonner les mauvais instincts, les basses passions de son adorateur. Comment le séduire, comment lui promettre des jouissances charnelles, dans son royaume, après la mort ?