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« J’ai passé des heures troublantes, boulevard Montmorency, dans le salon de Mme Lucie Grange. L’an passé, je la visitai après un article déconcertant qu’elle avait écrit sous ce titre : Guerre à la Magie Noire ! — Que je me trompai en croyant entrer dans un arsenal magique ! Autour de moi, rien de belliqueux : un petit poêle, une large table de travail, une gentille perruche qui pirouette autour de son barreau, deux pieux tableaux représentant la Vierge Marie et le Sauveur, faisant bon ménage avec des masques d’Hermès, d’Apollon et d’Isis ; enfin, planant sur ce temple familier, un grand étendard bleu.

« — Je sens autour de moi les fluides malfaisants de nos ennemis », m’explique tranquillement Mme Lucie Grange ; « mais je ne les crains pas. J’ai déclaré la guerre aux occultistes qui pratiquent l’envoûtement par voie ténébreuse. Tout autre à ce jeu courrait un danger de mort ; mais Hermès me protège et m’inspire. Invisible, visible souvent, il est toujours là auprès de moi… d’autres aussi. »

« À ce moment, de petits bruits crépitèrent : il me sembla que les murs disaient oui et que le poêle approuvait d’un pétillement.

« Devant ma stupéfaction, la prophétesse se mit à éclater d’un bon rire :

« — Vous voyez, ils répondent, eux aussi… Tout autre ferait sourde oreille ; mais j’ai appris le langage des choses qui est souvent le langage des esprits.

« — Les morts, n’est-ce pas ? questionnai-je.

« — Non, pas les morts précisément. La plupart sont trop imparfaits, trop semblables à nous. Leurs manifestations sont le plus souvent inférieures. Je suis en rapports avec les âmes des âmes, avec les puissances qui dirigent l’univers, que vous les appeliez les Génies de la Rose-Croix, les Devas de l’Inde antique, les Amschaspamds de la Perse, les Khéroubs de la Khaldée ou les Archanges de l’Apocalypse. L’un d’entre eux s’est attaché à moi ; il m’a d’abord dit se nommer Salem et être un prêtre égyptien ; puis, il me révéla qu’il était Hermès lui-même, le grand Hermès, décidé à se servir de la pauvre et ignorante femme que je suis pour rénover l’univers… Vous êtes ici dans la moderne Memphis. Nous y recevons les visites des plus grands hommes de tous les temps… Je suis voyante à l’état conscient, sans être endormie par personne. C’est ainsi que j’ai obtenu la résurrection fluidique d’un papyrus égyptien… Salem-Hermès vient à moi : tantôt il fait passer sous mes yeux des tableaux et des images symboliques, tantôt il amène près de nous d’autres intelligences, comme celles de Marcellus, de Miriam, de saint Michel, qui me révèlent d’éblouissantes vérités. Il y a en moi une âme toute changée qui se montre en ces extases, et contre qui se révolte parfois ma personnalité habituelle. Je ne suis pas seulement Lucie Grange, je suis le médium Hab, diminutif de Habimelah, qui veut dire, selon le commentaire d’Hermès, Force du Père. »

« Ces jours-ci, j’ai pénétré encore dans la Pyramide d’Auteuil, continue M. Jules Bois ; le drapeau bleu flottait avec une sorte d’ostentation magnanime.

« — Vous voyez, la Lumière a vaincu, me dit Mme Grange, je ne pense plus à la magie noire. Elle est renversée à jamais. »

« À ce moment quelqu’un entra.

« — M. Christian fils », dit le médium Hab.

« Le visiteur s’inclina avec grâce, puis s’assit, et je le vis feuilleter des parchemins aux signes biscornus, ainsi que des planches d’archéologie.