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Mme Vicini, la fameuse contralto de la Pergola, de Florence, et la basse Henri Fontaine.

Cette manifestation artistique en l’honneur de l’éternel ennemi de Dieu charma, dit-on, les invités, tous appartenant au monde aristocratique. La première partie met en scène le chaos, Lucifer divinisé, l’évocation des forces de la nature, l’enfance de l’humanité protégée par le Dieu-Lumière. Dans la seconde partie, la terre dit ses forces mystérieuses, l’eau chante ses ondes fraiches et ses vagues mugissantes, le feu célèbre son pouvoir divin. Tout le poème revêt ainsi une forme mystique, où Lucifer est grandi, glorifié, exalté ; l’humanité lui chante ses cantiques de foi, d’espérance et d’amour. Dieu n’est plus rien, Lucifer est tout ; c’est lui, le véritable dieu.

Ce dilettantisme invraisemblable caractérise bien notre fin de siècle. On voit par là que Satan met tout en œuvre pour se faire adorer sur la terre, pour ravir les âmes humaines au ciel.

Une autre personnalité bien connue, dans la haute société parisienne, et dont le nom s’est déjà trouvé plusieurs fois sous ma plume, c’est Mme la duchesse de Pomar (lady Caithness). Elle, non plus, n’est pas palladiste ; il est vrai que les propagandistes des triangles ne lui ont jamais fait d’avances et qu’elle fraye plus volontiers avec les goètes, les spirites, des diverses écoles : mais il n’est guère possible de la classer parmi les mages noirs, dont ses idées s’éloignent sur de nombreux points.

La duchesse de Pomar a écrit plusieurs ouvrages inspirés par le Bouddhisme ésotérique de l’anglais Sinnet. Présidente d’une branche française de la grande société théosophique de New-York, dite la Société théosophique d’Orient et d’Occident, elle dirige, sous le titre de l’Aurore ; une revue dont le but principal est de démontrer… l’identité du bouddhisme et du christianisme !

Les doctrines exposées dans ce journal sont, en grande partie, empruntées à une anglaise, miss Anna Kinsford, une des premières femmes à qui l’Académie de médecine d’outre-Manche ait donné le titre de docteur, et l’auteur du The Perfect-Way (la voie parfaite), dont une traduction française d’Édouard Shuré a fait le Christ ésotérique. « Bouddha, dit-elle, représente l’intellect ; Jésus, le cœur : Bouddha est la philosophie ; Jésus, la religion. Sans le bouddhisme ; le christianisme est inintelligible. » Quant à Shuré, il s’est en outre inspiré des doctrines de cet ouvrage dans un livre, paru d’abord en articles dans la Revue des Deux-Mondes, et intitulé : les Grands Initiés. C’est l’histoire(?) de la transmission de l’occultisme, de mage en mage, depuis Rama jusqu’à Jésus, en passant par Krishna, Hermès, Moïse, Orphée, Pythagore et Platon.

La propagande de la duchesse de Pomar ne se borne pas à la publicité des journaux d’occultisme dans lesquels elle écrit : elle a fait de son salon un