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le destin qui attend les initiés, semblable à celui d’Orphée, déchiré par les Ménades, il s’exprime ainsi :

« Ces paroles en faveur de l’auguste sagesse, suggérées par l’enseignement ésotérique, me terrifient de les prononcer. J’y vois trop la condamnation de mes vouloirs téméraires, de ma médiocre ingéniosité et des mauvaises entreprises où je m’égarai. Le sang jeune incite vers Satan, et l’art imparfaitement aimé conduit aux perverses imaginations. Cependant, la vérité qui monte de l’abîme, doit être écoutée par la pitié des cœurs sincères ; car elle a la force d’un aveu et d’un regret. »

Cette pitié pour le pauvre Sathan lui est profondément restée au cœur, et malgré toute la prétendue pureté de son mysticisme, on sent qu’il a un faible pour les impurs mystères de l’abîme. Il suffit, pour en être convaincu, de lire une demi-page de l’abominable roman qu’il publiait dernièrement dans le Gil-Blas.

Cependant il est fidèle au mot d’ordre de la secte : la négation de Satan. « La lutte du Bien et du mal, dit-il, de Satan et de Jeveh, est une ombre, un fantôme inventé par le cléricalisme : il n’existe que le Bien, qui est l’être splendide et expansif. » Il va jusqu’à accuser ce qu’il appelle le cléricalisme de connivence avec l’enfer et Satan :

« L’ultramontanisme, dit-il, penche vers l’égoïsme, et les jouissances matérielles, tout ce qui fait le fond de la magie Noire. L’hypothèse est probable, qui imagine que les derniers prélats romains, poussant jusqu’au bout l’œuvre de sacrilège et d’apostasie, accompliront, sous la fureur des cieux apocalyptiques, les vieux rites démoniaques, où ils chercheront le suprême refuge et la dernière victoire. Et les peuples désillusionnés reconnaitront en ces blasphémateurs la face la plus repoussante de l’Antéchrist. »

Il n’y a, d’après M. Jules Bois, qu’un moyen de vaincre le démon, c’est de s’abandonner à lui, de triompher du mal en s’y livrant. « Si vous refoulez le mal avec trop de fureur, dit-il, il acquiert par votre propre répulsion une force impulsive formidable, et vous pouvez être sa victime à jamais. » Psyché, ou l’âme humaine, en se livrant à Satan, l’absout, le transfigure, le divinise. À chaque instant, en face des inspirations de la muse diabolique qu’il est appelé à juger, M. Jules Bois se sent comme fatalement entraîné vers ses premières amours :

« Ma notion de l’univers bon quand même et rachetable sombre horriblement et délicieusement dans l’arcane de la tentation toute-puissante du Mal-Roi. La victoire de l’univers de corruption sur l’homme vainement prêtre de vertu et de beauté, porte en soi je ne sais quoi de noir où l’on se repait de l’orgueil obstiné d’être vaincu. »

Satan est du reste son sujet favori[1]. Il veut le sauver à toute force.

  1. Dans une pièce intitulée : « Il ne faut pas mourir » l’Esprit parle ainsi à Psyché :

    Ô toi, ma fille, à mon amante, Ô mon moi-même,
    Toi, ma vie et le flux de mon éternité,
    L’Enfer n’est plus ; à peine, hélas ! s’il a été…
    Élément de rachat par le dur mal lui-même.