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resté inachevé), il semblerait que le monde passionnel, que la passion, la volupté charnelle soit le dernier mot de la sagesse, et l’amour, l’unique clef de l’infini. Mais ce qu’il y a d’évident dans le dessein et le but du drame, c’est de la part de l’auteur l’intention d’opposer à l’idéal religieux, et, en particulier à l’idéal de la vie religieuse dans le catholicisme, l’idéal autrement pur, autrement élevé, autrement sublime, selon lui, de la sagesse magique, aboutissant au Nirvâna pour le sage qui sait s’abstraire de toutes les réalités vivantes, ou au suicide, pour celui qui cherche l’infini dans le sensualisme passionné[1]. Cette intention est clairement exprimée dans des passages tels que celui-ci :

« Certes, en ce cloitre, dit Sara, racontant à Axël l’histoire de sa vie, j’ai vu des gens cruels où la Foi ne brûlait qu’en renvoyant la lueur d’une torche de bourreau. À ces yeux, le ciel ne semble pas assez sombre ; ils trouvent utile que la fumée des bûchers s’ajoute à ses nuages. J’ai entendu battre des cœurs menaçants — où la crainte, éperdue, d’un Dieu… de l’idée, n’est-ce pas, qu’ils se font de Dieu ! — s’aveugle elle-même jusqu’à se croire l’Amour, où « le commencement de la sagesse » se prend, orgueilleux, oubliant sa limite, pour la Sagesse infinie… Qu’ils me plaignent donc, ou me condamnent… par contumace ! Je leur laisse, en ma redoutable miséricorde, l’indigne pensée qu’ils conçoivent de leur délivrée ! En vérité, de quoi m’accuseraient-elles devant un Dieu, ces consciences faites d’une rigueur défendue, qui ne surent jamais que scandaliser mon espérance ? Mon âme redoute peu ces juges méchants, qui osent ainsi affronter la terrible colère de la Colombe. — Ces cœurs voilés ont l’innocence des souffres, je le sais ! Les gouffres disent aussi : « Je reflète la lumière ! » Va, laisse à leurs propres âmes le soin de se punir ! Moi, je ne daigne punir les gouffres… qu’avec mes ailes. »

On a prétendu que Villiers, jugeant son livre insuffisamment orthodoxe au point de vue catholique auquel il se piquait de rester fidèle, voulait que la croix intervint dans la scène qui dénoue le drame. Or, je demande quelle figure eût fait cette apparition de la croix, du symbole catholique, devant cet autre symbole de la Rose-Croix, si complaisamment étalé dans ces paroles de Sara à Axël, à qui elle présente une fleur fanée tirée de sa poitrine (pendant que les harpes redisent dans l’ombre le chant des Rose-Croix) :

« Vois l’inconsolable rose ! — Elle m’apparut au moment où je m’enfuyais du cloitre de Sainte-Apollodora. Cette royale rose, symbole de mon destin, correspondance familiale et divine, ne devais-je pas la rencontrer dès mes premiers pas ? Son clair miracle saluait mon premier malin de liberté. C’était comme un avertissement merveilleux, image peut-être fixée d’une seule parole où je m’étais incarnée l’heure précédente… Doucement donc j’arrachai toute sa tige,

  1. Villiers semble être au sujet du suicide, du même avis que Dupotet, qui a écrit : « Heureux ceux qui meurent d’une mort prompte, d’une mort que l’Église réprouve ! Tout ce qu’il y a de généreux se tue. »