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donc en présence, dit maître Janus, la dualité finale des deux races, élues par moi du fond des âges pour que soit vaincue, par la simple et virginale humanité, la double illusion de l’or et de l’amour. » Malgré les exhortations transcendantes de Janus, qui voudrait le soustraire aux désirs du fini, « pour ne projeter plus que sur l’incréée lumière la somme de ses actes et de ses pensées », Axël persiste à vouloir aimer et vivre. Il est descendu dans la galerie des sépultures du burg d’Auërsperg, pour dire adieu aux dormeurs, les Rose-Croix, ses devanciers, quand tout à coup apparaît debout, sur les marches de pierre, une femme en vêtements noirs, à demi-voilée, élevant d’une main un flambeau, et de l’autre serrant sur son sein un solide poignard. Après avoir sondé de son regard les intervalles des tombes, Sara, car c’est elle, s’approche du grand écusson sculpté dans la muraille, et rassemblant toute sa force juvénile, appuie la pointe de la lame de son poignard entre les yeux de l’héraldique tête de mort en prononçant quelques paroles mystérieuses. Aussitôt, le mur se scinde en une large ouverture volée qui laisse entrevoir de sombres galeries, et d’où s’échappe à l’ouverture une averse de pierreries, de diamants, un ruissellement de perles d’or. Tout à coup, elle aperçoit Axël debout contre un sépulcre, qui la considère en silence ; elle saisit deux pistolets pendus à sa ceinture, fait feu sur Axël, et lui effleure la poitrine ; Axël s’élance sur elle et d’une étreinte de fer la tient désarmée, paralysée, renversée sur son bras. Déjà il a le poignard levé sur elle, quand, au moment de frapper, il s’arrête à l’aspect de la beauté de la jeune fille. Puis, vaincu par le charme diabolique que recèlent ses paroles : « Sais-tu ce que tu refuses ? Toutes les faveurs des autres femmes ne valent pas mes cruautés ! Je suis la plus sombre des vierges ! Je crois me souvenir d’avoir fait tomber des anges. Hélas ! des fleurs et des enfants sont morts de mon ombre !… Je t’apprendrai les syllabes merveilleuses qui enivrent comme les vins de l’Orient ! Je puis t’endormir en des caresses qui font mourir !… » Axël l’enlève de son bras désarmé, la conduit vers le prie-Dieu d’ébène, et s’assied aux pieds de Sara ; puis, Sara attirant sur son sein le front d’Axël, ils restent ainsi éperdus, comme inanimés et sans paroles. Dès lors, Axël est si bien sous le charme, qu’au lever de l’aurore, il repousse tous les rêves de bonheur que Sara a fait luire à ses yeux et veut mourir dans cette extase sensuelle, que rien désormais ne saurait égaler. Sara, hésitante d’abord, se laisse persuader : ils boivent ensemble à la même coupe empoisonnée, et gisent, entrelacés sur le sable, échangeant leur dernier soupir à la mode maçonnique, dite féix-féax.

Tel est ce drame, où se déroulent tour à tour en quatre tableaux ce que l’auteur appelle : le monde religieux, le monde tragique, le monde occulte et le monde passionnel. Si nous nous en tenons au dénouement du drame, qui dans la pensée de Villiers n’était peut-être pas définitif (car ce drame est