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cheminée. D’un mouvement maladroit, un des assistants renversa le monstre, qui éteignit la bougie dans sa chute. On entendit alors Baudelaire chuchoter ces paroles dans les ténèbres : « Si pourtant c’était là le vrai Dieu ! » Il se plongea dans l’étude des doctrines de l’Inde et de la Kabbale ; ses admirateurs le louent d’avoir retrouvé l’Inde dans son roman d’Akedysséril, On le rencontrait montant à Montmartre, où il demeura longtemps, un volume de la Kabbale sous le bras, proférant des paroles mystérieuses. « Un mystère, dit Jules Bois, plane sur les amours de Villiers avec une inconnue, folle sans doute, qu’il avait rencontrée, alors que lui-même avait une crise de déraison, en Allemagne, en France, qui sait ? peut-être dans un hospice d’aliénés. »

En 1862, son livre Isis ouvrait une série de romans philosophiques, jamais achevés, dont le but et le plan étaient bien vagues et bien mal définis ; Villiers y posait « l’X d’un problème et d’un idéal ; c’est le grand inconnu, disait-il. L’œuvre se définira d’elle-même, une fois achevée. » Cette pensée qui devait se définir n’était, je le crains, que celle qu’il exprime par la bouche de Don Juan dans un de ses premiers poèmes :

« Ténèbres ! La réponse est un Dieu, dit le prêtre ;
Le sage dit : Arrière ! et l’homme dit : Peut-être !
Trois mots !… Le sphinx béant reste seul défini. »

On sait que les prêtres d’Égypte avaient écrit sur le socle de la statue voilée d’Isis « Je suis ce qui est, ce qui fut, ce qui sera ; personne n’a soulevé le voile qui me couvre. » L’héroïne d’Isis, Tullia Fabriana, s’est juré de soulever ce voile. Elle se jette dans l’étude des livres de magie. Toutes les héroïnes de Villiers sont munies d’un anneau-constellé de grosses émeraudes et contenant sous la forme de poudre brune du poison dans le châton. Bien qu’en somme, Tullia Fabriana ne soulève pas le moindre coin du voile de la mystérieuse déesse, l’Isis de Villiers peut passer pour l’ancêtre de toutes ces Isis dévoilées que nous avons vu paraître depuis, avec aussi peu de succès.

Axel est l’œuvre diabolique capitale de Villiers l’Isle-Adam. On sait que ce drame a été joué il n’y a pas longtemps sur une scène de Paris. La donnée fondamentale de l’action qui se passe vers l’an 1828, est tout à fait romanesque. Il s’agit d’un trésor enfoui à découvrir ; le secret de ce trésor est consigné dans des papiers mystérieux, relégués au fond d’un monastère de religieuses trinitaires, qui tombent entre les mains d’une novice noble, Ève-Sara-Emanuèle de Maupers. Une fois en possession de ce secret, la future religieuse ne songe plus qu’à s’emparer de ce trésor, et au moment de prononcer ses vœux, elle prononce un non solennel, et, armée d’un pouvoir magique, elle fait entrer dans l’in-pace où elle allait être ensevelie l’archidiacre qui venait de prononcer sa condamnation.