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est à la fois un reflet de Kéther, l’être absolu «, et un refet de Jésod, l’essence du monde.

Voici, maintenant, d’après le même mage, la généalogie de l’ésotérisme esthétique dans les temps modernes :


« Depuis Shakespeare, comme avant lui, tous les grands poètes ont été soit des initiés, soit des intuitifs.

« Il faut citer en notre siècle, parmi les intuitifs : Victor Hugo, Lamartine, dont la Chute d’un ange est caractéristique ; Shelley, surtout dans la Reine Mab ; Charles Baudelaire, qui eut un sens extraordinaire du mystère ; Edgar Poë, Carlyle, Barbey d’Aurevilly, etc

« Parmi les initiés : Gœthe, dont le premier et surtout le second Faust sont œuvre d’initié ; Balzac, qui, en tant qu’auteur de Louis Lambert, de Séraphila, et de la Recherche de l’Absolu, initié martiniste, possédait assurément une vaste science ; Bulwer Lytton, le poète et romancier anglais, élève d’Éliphas Lévi ; Villiers de l’Isle-Adam, magnifique génie méconnu de son temps et trop tôt fauché, dont l’Axël contient une quatrième partie d’une hautaine portée initiatique. »


Villiers de l’Isle-Adam, depuis sa mort surtout, nous est donné par ses admirateurs comme un mage imperturbable et sacré. Dans la généalogie qui précède, il se rattache surtout à Poë, à Baudelaire et à Barbey d’Aurevilly. « Barbey d’Aurevilly, Baudelaire et Villiers, sombre et radieuse trinité ! » s’écrient en chœur nos occultistes. Baudelaire, pour ses Fleurs du Mal et sa traduction d’Edgar Poë ; Barbey d’Aurevilly, pour sa série de romans intitulé les Diaboliques ; Villiers de l’Isle-Adam, pour quelques-unes de ses Nouvelles, et surtout pour ce drame d’Axël, dont la quatrième partie nous est dénoncée comme ayant une haute portée initiatique.

Villiers de l’Isle-Adam est un être mystérieux et obscur dans sa mort comme dans sa vie. Né en 1838 à Saint-Brieuc, il mourut à l’hospice des Frères de Saint-Jean-l’Hospitalier, le 18 août 1889, regardant le jardin du couvent sur lequel s’ouvrait aussi la chambre de Barbey d’Aurevilly, rue Rousselet, Villiers se plaisait lui-même à entretenir du mystère autour de sa personne et de sa vie. Faisant remonter sa lignée à un comte de Villiers de l’Isle-Adam, dernier grand-maitre des Chevaliers de Malte, et se glorifiant de figurer lui-même sur la liste des rares chevaliers de l’ordre encore existants, on le vit à ce titre réclamer à Napoléon III le trône de Grèce vacant, et au ministre de la guerre le prix de l’équipement de cent lances qu’un de ses aïeux avait avancé au roi saint Louis pour la croisade.

D’abord épris de romantisme, il se sentit bientôt vivement attiré vers Edgar Poë, dont il a acclimaté chez nous le frisson fantastique dans l’Amour suprême, et vers Baudelaire surtout, dont il devint le disciple et l’admirateur. Il contait à qui voulait l’entendre une soirée à l’hôtel de Dieppe dans la chambre du poète des Fleurs du Mal : une idole japonaise grimaçait sur la