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ils cherchent à créer le plus possible d’adeptes conscients et à développer en tout homme l’initiative qui double et même triple la force de l’individu… Nous n’avons aucun plan d’organisation, et nous pourrions être taxés de folie, si nous arrivions avec un système établi d’ores et déjà pour le lendemain d’une révolution qui va bouleverser scientifiquement, économiquement, toute notre vieille organisation sociale. De même que nous ne pouvons indiquer la formule alimentaire qui conviendra le mieux à notre estomac à une époque plus ou moins reculée, de même nous ne pouvons établir un système règlementant des situations que nous ne pouvons même pas prévoir. »

Ainsi, on considérait que les révolutionnaires, avec Karl Marx et l’Internationale, allaient à l’extrême limite ; on frémissait, et l’on pensait qu’ils ne pourraient pas être dépassés. Eh bien, Bakounine, qui déjà avait mis Karl Marx en échec en 1869 au congrès de Bâle, obligeait, l’année suivante, les marxistes à se retirer d’un congrès partiel de l’Internationale, à La Chaux-de-Fonds. En 1871, il déclarait, contre l’Internationale préconisée par Marx comme centralisation autoritaire, que son système, à lui, était celui de la vraie liberté, et il l’intitulait : Fédéralisme anti-autoritaire.

Ce fut dès lors une joute entre les deux révolutionnaires.

En 1872, l’Internationale devait avoir son congrès, comme chaque année. Karl Marx réussit à faire décider qu’il se tiendrait à La Haye. C’était mettre Bakounine dans l’impossibilité de s’y rendre ; car il avait encouru des condamnations en France et en Allemagne, et, pour aller en Hollande, il lui fallait passer par l’un de ces deux pays. Grâce à cette exclusion, les marxistes eurent la majorité, cette fois. Mais, en 1873, le sixième congrès de l’Internationale fut convoqué à Genève et vit le triomphe de Michel Bakounine. On vota la suppression du Conseil général de l’internationale, comité qui était dans la main de Karl Marx. Ce fut la fin de l’Internationale elle-même, ou tout au moins, sa dislocation complète ; les partisans de la centralisation autoritaire, dispersés désormais en groupes ayant perdu leur force d’action, devinrent les « droitiers » de la révolution sociale, sous le nom de « possibilistes ». Au contraire, les anarchistes, se sentant fortifiés par cette victoire, amenant tous les jours à eux de plus en plus les bataillons collectivistes, formèrent dès lors le véritable parti international, le terrible et puissant parti du cosmopolitisme destructeur.

Les Frères Internationaux avaient bien manœuvré. C’étaient eux qui avaient le plus habilement centralisé les forces du prolétariat révolté, tout en donnant à leur système les apparences de la décentralisation et en prônant l’initiative individuelle.

Mais Bakounine ne vit pas les résultats de son œuvre. Il était depuis longtemps miné par une grave maladie. En 1876, il quitta Lugano pour se