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Décentralisation ! La France littéraire, la Semaine religieuse ! Comment énumérer tout ce qu’Adrien Péladan prodigua de poésie, de science et de foi en ces dix-huit volumes des deux recueils ?… La plus ancienne impression de mon enfance me reporte au cénacle de la rue Sainte-Hélène, où parmi les bibliothèques débordantes de brochures et de livres, je voyais en un jour passer les robes de bure et les soutanes violettes, l’archevêché d’Alger et Blanc de Saint-Bonnet ; où je quittais les genoux du curé de Trévoux pour ceux de Soulary ; j’entends encore la vivacité des discussions où résonnaient des mots hébreux, des phrases latines, et maintenant ce coin de Lyon me semble un coin de Florence, transporté par magie, — non réalisé par la foi du Chevalier Péladan.

« Attiré à Avignon par la vive amitié de l’archevêque Dubreuil, et aussi pour cacher son fils, le grand médecin, au féroce recrutement, il se retira au Vigan pendant la guerre. Soudain, le docteur Péladan tombe aux mains de la soldatesque : par miracle, il en sort vif, et le Chevalier se résout à fixer sa tente sous le ciel inhospitalier de l’Occitanie. Mais l’inaction lui pèse, le voici à Lille, dirigeant la Vraie France… Je viens à vous et à Nîmes. Adrien Péladan, étant nabi, parla à Nîmes comme il eut parlé à Israël : le Chevalier Péladan était né prêtre, et voyant, et clamant. La Providence le frappa sur son fils. J’ai écrit le martyre du docteur Péladan, et comment l’instaurateur de l’Anatomie homologique on magique, le suivant des Van Helmont et des Paracelse, fut persécuté lâchement par les étudiants de Montpellier pour le crime de protestation contre le matérialisme du professeur Rouget ; j’ai dit comme ce même docteur fut mis en prison pour avoir qualifié d’Iscariote ce maréchal, qui, par le rappel de l’Orénoque, abandonnait le pape à la révolution italienne. Inquisition militaire, guet-apens d’université, prison pour la foi, voilà la dette des Péladan à la patrie : je la paierai[1].

« Aux Chaffoy, aux Cart, aux Plantier succéda, hélas, l’évêque Besson ; âme en prose, esprit médisant, d’une ignorance sulpicienne, il se révèle entier, lui et sa charité, en ces mots : « Les Nîmois me haïssent, et moi, je les déteste. » Mgr Besson voyait dans le mysticisme la perte de la croyance ; cet état d’âme éclata contre Adrien Péladan. Le pieux écrivain répandait la très ancienne dévotion de la plaie que fit la croix à l’épaule de Jésus. Sitôt le pasteur dénonce l’hérésie péladane, arrache une lettre au Cardinal Préfet des Rites, et triomphant, cite le Chevalier à venir entendre lecture du rescrit romain. Devant la divine Eucharistie, devant le cadavre du Chevalier, mandant au Cardinal Préfet, et à qui il appartiendra, je relève, je dresse et je proclame que la plaie de l’épaule est celle qui fit le plus souffrir Notre-Seigneur, et je déchire, lacère et piétine publiquement la lettre du Cardinal Préfet Bartolini et le communiqué de l’évêque Besson, au nom de la théodoxie ésotérique et de la science expérimentale ![2]

  1. Joséphin Péladan, en effet, la paya dans maint de ses écrits et en particulier dans le livre où il forme le Mage et dit à son disciple : « Renie la France (l’idole patrie) au nom de l’Église, ta matrie ».
  2. Il est nécessaire de montrer ici que l’évêque de Nîmes n’avait pas tout à fait tort de s’opposer aux innovations de M. Péladan père. Cet étrange catholique s’était mis en tête de créer un nouveau culte, le culte de l’épaule gauche de Notre-Seigneur, qu’il dressait en face du culte du Sacré-Cœur, usant des procédés les plus charlatanesques pour s’attirer des adhérents.
    Il expédiait, dans toute la France, des circulaires où l’on lisait :
    « Chaque fois qu’après de grandes infractions aux préceptes divins l’humanité est assujettie à