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dans une chair de bête ou dans un organisme de plantes ; ce qui est certain, c’est que notre être se continue ; sans cela, rien ne semble logique dans l’univers… Je suis un intransigeant ; mais à l’exemple de Bouddha, je n’impose pas mes doctrines. Chacun doit trouver en lui-même sa propre doctrine. Chacun doit être son prêtre…

« — Avez-vous pensé à instaurer un culte bouddhique à Paris ?

« — On me l’a souvent proposé ; mais il m’a toujours répugné de jouer un rôle charlatanesque, et je me suis rallié à la circulaire d’un comité du Japon qui déclare : « Édifier des églises, mais ce serait contrevenir aux préceptes de pauvreté du Bouddha ! » N’avons-nous pas les temples chrétiens, qui sont éclairés et chauffés ? Il nous est loisible de méditer sur le salut, tout en nous souvenant qu’une pagode ne vaudra jamais un sentiment pur.

« Sur la table de travail, je regarde des épreuves qui trainent.

« C’est mon prochain livre, monsieur, prononce M. de Rosny ; mon éditeur l’a tiré à un grand nombre d’exemplaires et l’a orné d’une couverture en maroquin noir, sur les demandes d’une multitude de dévotes désireuses d’aller à la messe avec ce nouveau missel. Caprice que je n’ose blâmer, puisque j’en suis l’objet ainsi que ma doctrine. D’ailleurs, je le prétends, le Pape lui-même est bouddhiste… à sa façon…

« Je feuillette le sommaire, et je m’arrête à ces titres suggestifs : le Véhicule de l’Amour ; le Culte du Remords, le Grand Nivellement ; la Récompense Mercenaire.

« Le Véhicule de l’Amour, c’est la doctrine du Bouddha, cette loi de l’égoïsme aboli et de l’altruisme exalté. Le Grand Nivellement, c’est chacun à sa place, la femme enfin reine à côté de l’homme-roi. La Récompense Mercenaire, c’est notre vain désir de faire le bien pour conquérir un ciel grossier ou éviter un enfer enfantin, au lieu de demander au seul Bien[1] accompli le bienfait, immanent en ce Bien lui-même… La régénération de la femme, son élévation au rang de femme forte, de mère de l’homme, et de vestale du feu sacré de l’Intuition est la loi la plus haute qu’il soit possible de réaliser de nos jours dans le vaste domaine du Grand Nivellement.

« Cet apôtre féministe, ajoute M. Jules Bois, compte écrire pour ses admiratrices la Nouvelle Marguerite, comme Rousseau rédigea la Nouvelle Héloïse ; et j’étais encore dans l’escalier, quand le philosophe me conta cette orientale anecdote : « Gauterna perdait son temps en caresses auprès de la belle Gaupa, lorsque celle-ci lui dit : « Tu vas me quitter, ô mon époux,

  1. Nous pourrions demander à M. de Rosny comment il accorde cette notion du Bien moral avec la définition qu’il en donne ailleurs (la Méthode Conscientielle, p. 147.) : « Le Bien, c’est la loi générale qui préside à toutes les évolutions de la Nature universelle. » Une telle définition ne laisse guère de place à la morale et à la liberté.