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Aujourd’hui les choses ont changé : nous jouissons dans toute sa plénitude de la liberté de la parole. Nos allures mystérieuses ne paraissent donc plus excusables aux yeux du public, qui poursuit de ses railleries les simagrées auxquelles nous nous livrons. Et en cela, les Maçons n’ont nul droit de se plaindre ; car s’il est au monde un spectacle risible, c’est bien celui qui nous montre des hommes sérieux se livrant avec une gravité comique à des momeries baroques, qui rappellent, à leur insu, des idées diamétralement opposées à celles qu’ils professent.

Souverainement ridicules devant l’appréciation profane, les Maçons actuels font plus triste figure encore devant le jugement éclairé du véritable initié.

Ah ! s’ils s’étaient contentés de gémir selon l’Enseignement de leur troisième Grade, en cherchant la parole perdue et en gardant intact le dépôt de la tradition sacrée, pour la transmettre pure, bien qu’incomprise, aux générations futures ! Au moins auraient-ils droit, dans ce cas, à la reconnaissance que mérite tout service utile, rendu à la cause de l’Humanité. On les eût peut-être irrévéremment comparés à l’âne portant un trésor sans en connaître le prix ; mais au fond on leur aurait su gré du soin qu’ils auraient pris en perpétuant religieusement parmi eux des usages anciens, et leur respect pour un Monument précieux d’Archéologie Philosophique leur eût concilié de légitimes et profondes sympathies.

Mais la crainte, sans doute, de se voir assimilés à cet humble mais honnête baudet a poussé les Maçons d’aujourd’hui dans une voie bien différente. Ils ont préféré trahir leur mission, et piller le trésor confié par la Sagesse des Âges à leurs soins peu scrupuleux. Dans leur rage de vandalisme aveugle, ils saccagent et détruisent ce que leur ineptie ne parvient pas à comprendre. Aussi qu’ont-ils fait de l’Initiation, cette suprême lumière brillante et pure, si ce n’est qu’un vain prétexte à cordons ridiculement chamarrés et à titres grotesquement pompeux ?

Il faut que vous le sachiez, mes Frères, vous n’avez aucun droit de prétendre à la qualité d’Initiés. Ne vous occupez pas de ce qui est en dehors de votre compétence. Ne sutor supra crepidam. Rendez à César ce qui est à César, et aux vrais Initiés ce Symbolisme, dont l’ampleur magistrale sied si mal à votre taille mesquine. Apprenez que désormais le bien d’autrui ne peut que vous porter malheur, comme l’Arche d’alliance du peuple israélite aux profanes philistins.

Je viens, mes Frères, de mettre en avant des arguments inattendus, en faveur d’une cause que d’autres soutiennent, en se basant sur des considérations d’un Ordre diamétralement opposé.

Ce n’est pas parce que je trouve le Symbolisme ridicule ou absurde que je réclame, sinon sa suppression, du moins sa simplification rationnelle. Non, je ne partage pas l’opinion de ceux qui représentent le Symbolisme comme un vestige d’une époque de superstitieuse ignorance et le déclarent comme tel indigne des Maçons modernes. Je vois au contraire, sous les dehors étranges du Symbolisme, tant de science, de sagesse et de beauté, que je conçois l’incapacité de la Maçonnerie actuelle (du Grand Orient de France) de s’élever à pareille hauteur. Se croyant supérieurs au Symbolisme, la plupart des Maçons lui sont en réalité tellement inférieurs, qu’ils n’ont même pas conscience de leur humiliante situation, que fait mieux ressortir encore l’orgueilleuse arrogance dont ils se targuent.