Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoir l’autorité voulue pour traiter à fond un sujet aussi délicat, mes prétentions se borneront à poser les questions plutôt qu’à les résoudre. J’espère provoquer ainsi un débat entre les Maçons les plus expérimentés qui voudront bien nous apporter le concours de leurs lumières en nous faisant part des objections, observations et rectifications, qui ne manqueront pas de naître dans leur esprit au cours de notre entretien fraternel. Le résultat sera une discussion certainement très intéressante et profitable surtout au point de vue de l’instruction maçonnique de chacun. Elle pourrait même devenir le point de départ d’un mouvement de réorganisation, dont notre Institution paraît avoir le plus grand besoin.

Pour traiter de la situation actuelle de là Franc- Maçonnerie, en France, il convient avant tout de rechercher ce que c’est que la Franc-Maçonnerie. — C’est là, mes Frères, une question vaste et profonde que toute une série de volumes n’arriverait pas à épuiser ; car la Franc-Maçonnerie se présente à nous sous tant d’aspects divers, que les opinions les plus contradictoires ont cours à son sujet, tant parmi les Maçons que dans le monde profane. Cela tient au mystère dont s’entoure notre Institution, laquelle renferme en elle quelque chose de grand, d’indéfinissable et de sublime, qui force jusqu’à ses adversaires les plus acharnés à lui rendre un hommage involontaire, en lui reconnaissant un caractère surhumain. — « Le diable seul, disent-ils, peut avoir inventé une pareille organisation, le génie de l’homme n’est pas capable d’une telle conception. »

Quelle que soit la part qui puisse revenir dans la fondation de notre Ordre au personnage fabuleux dont il vient d’être question, et malgré la difficulté d’une définition catégorique de la Franc-Maçonnerie par suite de son côté essentiellement mystérieux, nous espérons parvenir, en procédant avec méthode, à éclaircir bien des points encore obscurs et à jeter même une certaine lumière sur l’ensemble de la question qui nous occupe.

Commençons par une distinction qui a son importance. Il existe deux sortes de Maçonneries : l’une, que l’on peut appeler la Maçonnerie idéale, n’existe que dans l’esprit des Maçons dont elle résume les aspirations les plus élevées, les plus louables et les plus belles. Quant à l’autre, la Maçonnerie réelle, c’est celle qui seule jouit, malheureusement, d’une existence effective et la seule aussi dont nous ayons à nous occuper ici[1].

Grâce à cette distinction, mes Frères, il nous sera facile de maintenir notre discussion sur le terrain solide des réalités existantes, en évitant qu’elle ne s’égare dans le romantisme des conceptions ultra-fantaisistes d’une école qui n’a eu que trop de vogue en Maçonnerie. C’est un écueil que nous éviterons en prenant comme base de nos études ce qui existe plutôt que ce qui devrait exister.

Inutile, du reste, d’établir un parallèle entre ces deux aspects que nous présente notre Institution. Nous savons que toujours la réalité reste forcément au-dessous de l’idéal et qu’il faut s’estimer heureux, quand l’idéal se trouve réalisé, ne fût-ce que dans une bien faible proportion ; car il arrive souvent

  1. Il ne faut pas perdre de vue que, dans la tenue où pérore le F∴ Oswald Wirth en l’honneur de son affiliation, il y a des Compagnons et même de simples Apprentis ; et notre orateur est obligé de ne pas leur laisser soupçonner le fond du sac ; d’où son langage ambigu dont ceux qui savent seront seuls à faire leur profit.