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poèmes dramatiques parus en notre siècle, la révolte de Satan contre Dieu est exaltée, et Satan lui-même transfiguré en principe du droit, de la justice et du bien. Ce Satan, Dieu bon, en face de Dieu, auteur du mal, dieu destructeur et mauvais, est esquissé dans le Caïn de Byron avec toute la puissance du génie dévoyé. Rappelons, en passant, ce fragment de dialogue entre Caïn et Satan :


Caïn. — Qui es-tu ?

Lucifer. — Un esprit qui aspira à devenir celui qui t’a créé, et qui ne t’aurait pas fait ce que tu es.

Caïn. — Ah ! tu ressembles presque à un Dieu…

Lucifer. — Ce Dieu, dans sa grandeur, n’est pas plus heureux que nous dans notre lutte. Sa bonté n’eût pas créé le mal ; a-t-il fait autre chose ?… Qui donc était le démon ? celui qui n’a pas voulu vous laisser vivre, ou celui qui vous aurait fait vivre à jamais au sein des joies et du pourvoir de la science ?… Demande au Destructeur.

Caïn. — À qui ?

Lucifer. — Au Créateur. Appelle-le comme tu voudras : il ne crée que pour détruire…


Le Satan de Byron n’est autre que celui des Ophites et des Caïnites, l’instructeur et l’éducateur du genre humain, l’être bon et secourable qui a retiré les hommes de l’état d’ignorance où le créateur du monde les avait mis et voulait les retenir par malice ; il est le vrai père qui a fait briller à leurs yeux l’éclat de la science, de la liberté et de l’immortalité.

Rien de plus louable, en apparence, que le dessein de s’élever contre une pareille déification de Satan-Lucifer, et nous en pourrions chaleureusement féliciter Fabre d’Olivet avec le docteur Papus, si à côté de cette sortie contre Byron et l’école satanique d’Outre-Manche, on ne voyait s’élever, à grand renfort de textes et d’érudition, la plus funeste théorie qui ait été formulée à propos de Satan, théorie accueillie avec enthousiasme par tous nos occultistes modernes, qui, pour se débarrasser de l’accusation de satanisme, ont pris le parti expéditif de nier, dans leurs imprimés, l’existence même de Satan.

Cette négation est surtout fondée sur l’interprétation donnée par Fabre d’Olivet aux versets de la Genèse où apparaît Satan, sous la forme du serpent, conversant avec Ève. D’après cette interprétation, Nahash, le serpent-Satan, n’est plus que l’amour de soi, l’égoïsme de l’âme humaine ; Adam, la figure du règne hominal ; Ève, la force efficiente ; et Caïn et Abel, les deux forces primordiales de la nature. Ce n’était vraiment pas la peine de démolir le Satan de Byron. A la place de ce verset : « Or, le serpent était le plus fin de tous les animaux que Dieu avait faits », il faut lire : « Nahash ou l’intérêt qui désire dominait toute la vie élémentaire dans la création de Jhoah. »