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valeureux compagnon d’armes de la Pucelle, puis, quand l’oisiveté de la vie de château a succédé à l’animation des camps, victime de son amour du luxe et des plus brutales passions, se donnant à Satan pour assouvir, par des moyens surnaturels, ses convoitises effrénées. À cette dépravation surhumaine, il fallait de l’or à tout prix. Dieu restant sourd à ses prières, il eut recours aux sciences occultes, et s’enferma au fond de son château de Tiffauges pour y travailler, avec un alchimiste, à la découverte de la pierre philosophale. Irrité du peu de succès de ses recherches, il passa bientôt de l’alchimie à la sorcellerie, consulta les plus grands magiciens du temps, Antoine de Palerme, Jean de la Rivière, l’orfèvre Robin, et fit enfin venir d’Italie un savant florentin, François Prélati, se disant expert dans l’art de la géomancie et en commerce réglé avec Satan.

Celui-ci s’empara facilement de l’esprit du baron. Alors, au fond de ce château de Tiffauges, dit le chroniqueur Alain Bouchard, il se passa des choses étranges, horribles, impossibles à croire. Il y eut des conjurations fantasmagoriques, de magiques apparitions, de sanglants sacrifices. Des enfants disparurent. Une vieille femme, appelée la Meffraye, qui parcourait les campagnes et les landes, la tête couverte d’une étamine noire, les attirait par de brillantes promesses auprès du maréchal. Bientôt se répandit partout le bruit que « le seigneur de Rais usait de l’art et science de négromantie et qu’il faisait murtrier et occire grand nombre d’enfans, afin d’en avoir et recueillir le sang, dont il escript tous ses caractères des devinemens requis pour invoquer les infernaulx esperitz, tendant parvenir par leur moyen à recouvrer grans trésor. et richesses. »

L’évêque de Nantes obtint, pour le mettre en accusation, une bulle dans laquelle le pape Eugène IV le déclarait « imbu du malin et oublieux de son salut. »

Le 10 septembre 1440, le maréchal fut arrêté dans son château de Tiffauges, au milieu de ses sanglantes orgies. L’ouverture du procès eut lieu dans la grande salle du Château de Nantes, le 28 septembre 1440. L’acte d’accusation contenait quarante-neuf chefs principaux. Sept témoins déposèrent que leurs enfants avaient été enlevés par les gens du maréchal, et depuis n’avaient plus reparu ; « lesquels enfants, est-il dit dans le procès (manuscrit conservé aux archives de la Loire-Inférieure) avaient été pris très inhumainement, démembrés, brûlés et livrés aux démons, aux malins esprits, après avoir servi aux plaisirs du maréchal. »

Celui-ci finit par avouer tous ses forfaits, confessa ses crimes sur les enfants, nomma ses complices, entra dans le détail des tourments qu’ils infligeaient à ces innocentes victimes, soit en leur coupant la tête, soit en les assommant à coups de bâton, soit en les éventrant pour voir les entrailles…