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« Il faut que la parole soit un glaive : c’est avec des poignards, du ridicule, de la haine et du mépris qu’il faut poursuivre la tyrannie. Si j’écrivais sur la liberté de la presse, je commencerais ainsi : La liberté de la presse ! ou le diable vous emporte, vous tous ensemble, peuple, princes et pays allemand !… Il vaut encore mieux être sans religion que sans liberté ! »

C’est lui qui disait de Béranger : « Béranger est l’arc-en-ciel que Dieu, après le déluge de la restauration, a mis dans les nuées, en signe de son éternelle alliance. »

Il est aussi l’un des écrivains allemands qui ont le plus contribué à enflammer l’orgueil national de l’Allemagne et à exciter contre la France ses passions patriotiques. Il eût été un des premiers, s’il avait vécu jusque-là, à applaudir à l’annexion violente de l’Alsace et de la Lorraine. Un jour, dans le feu de la conversation, quelqu’un remarquant que la France devait être fortifiée par l’annexion des provinces du Rhin afin de pouvoir résister plus sûrement à l’Europe aristocratique et absolutiste. « Je ne voudrais pas, s’écria Bœrne, céder à la France même un seul pot de chambre allemand. » Bœrne est un précurseur de Bismarck.

Sa mort (12 février 1837) excita des regrets unanimes dans tout le monde maçonnique d’Allemagne et de France ; le parti de la révolution cosmopolite perdait en lui un de ses plus ardents et plus brillants champions.

L’un des chefs les plus avancés de la démagogie française, Raspail, fit son oraison funèbre d’un mot qui dit tout : « Bærne, israélite par sa naissance, était dans ses écrits de ma religion, de la vôtre, de celle des hommes de bien de tous les pays ; il croyait à la fraternité universelle, à l’égalité, etc… » On sait que pour les francs-maçons, il n’y a d’hommes de bien que ceux qui ont juré une haine irréconciliable à l’ordre social et à la religion du Christ.

Si Bœrne représente, chez les juifs émancipés, les tendances révolutionnaires et subversives de toute autorité sociale, Heine incarne dans sa personne les tendances incrédules et athées, où devaient nécessairement aboutir les prémisses posées par le rationalisme de Mendelssohn. Si Bœrne a tout le débraillé du tribun populaire et du démagogue, Heine est le juif aristocrate qui veut bien condescendre à soutenir les principes de la démocratie et de la Jeune Allemagne, mais à la condition qu’il ne se salira pas les mains au contact de la plèbe « des gueux comme Berne et consorts », et qu’on lui permettra de jouir en toute liberté de la douce et charmante vie épicurienne dont ses poésies sont le code[1].

  1. Heine, cependant, recevait chez lui les démocrates et patriotes allemands, pour ne pas se compromettre aux yeux de l’Allemagne, « en guise de hérauts de gloire, dit Weill, mais les Allemands partis, il allait voir Gauthier, Royer, Gérard, Texier, Buloz, Béranger, les frères Escudier, Véron, Berlioz, Dumas et les célébrités féminines du temps ».