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dont l’œuvre était terminée, et du désarroi qu’une fin de législation amène avec elle, le F∴ Duport monta à la tribune et dit :

« Je crois que la liberté des cultes ne permet plus qu’aucune distinction soit mise entre les droits politiques des citoyens à raison de leur croyance. La question de l’existence politique des juifs a été ajournée. Cependant, les turcs, les musulmans, les hommes de toutes les sectes sont admis à jouir, en France, des droits politiques. Je demande que l’ajournement soit révoqué et qu’en conséquence il soit décrété que les juifs jouiront en France des droits de citoyens actifs. »

Un député de l’Alsace, Rewbell[1], demanda la parole pour combattre la proposition de Duport. Alors le président de l’Assemblée, Regnault de Saint-Jean d’Angély, stylé d’avance par les meneurs, intervint et dit : « Je demande que l’on rappelle à l’ordre tous ceux qui parleront contre cette proposition ; car c’est la Constitution elle-même qu’ils combattront. » Et ce fut tout ; l’Assemblée vota la motion sans examen, sans discussion, sans même la rédaction préalable du décret. Ce ne fut que le lendemain 28 septembre que Duport présenta la rédaction du décret rendu la veille, rédaction légèrement modifiée sur quelques observations du prince de Broglie et de Rewbell. Elle est ainsi conçue :


« L’Assemblée Nationale,

« Considérant que les conditions nécessaires pour être citoyen français sont fixées par la Constitution, et que tout homme qui, réunissant lesdites conditions, prête le serment civique et s’engage à remplir tous les devoirs que la Constitution impose, a droit à tous les avantages qu’elle assure.

« Révoque tous les ajournements, réserves, exceptions insérés dans les précédents décrets, relativement aux individus juifs qui prêteront le serment civique, qui sera regardé comme une renonciation à tout privilège et exemption précédemment introduits en leur faveur. »


Ainsi se réalisait en faveur des juifs le plan échafaudé au convent de Wilhelmsbad, concerté par Mirabeau avec les sociétés secrètes de l’Allemagne, et mis à exécution par le même Mirabeau et les révolutionnaires ses alliés, à la faveur du désordre social produit par la Révolution, et grâce à une surprise opérée sur une Assemblée qui s’abandonne lâchement à la veille de sa dissolution.

Entachée dans son principe et sa source par cette origine essentiellement révolutionnaire, l’émancipation des juifs se ressentira, dans ses résultats, de cette tare primitive ; s’ils y ont gagné au point de vue social et humain, il est difficile de ne pas reconnaître, au témoignage même de leurs propres

  1. Il n’est pas inutile de rappeler ici que Rewbell était pourtant un adversaire acharné de la royauté : il siégeait à l’extrême-gauche. Mais il était député de Colmar, il connaissait de près les juifs, vrai fléau de l’Alsace, et il comprenait toute l’énormité de la faute que ses collègues et amis allaient commettre.