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Ce livre, de l’aveu des israélites eux-mêmes, est devenu le point de départ des réformes poursuivies, et en partie réalisées (Archives israélites, année 1867).

Quand Mirabeau arriva à Berlin, le nom de l’auteur était dans toutes les bouches ; le futur tribun s’enthousiasma de Dohm et de son livre, et dès lors sans doute fut conçu entre eux le projet de le faire connaître à la France. Étant à Postdam, où l’avait appelé Frédéric, Mirabeau écrit à sa Nehra, le 19 avril 1786 : « Dites à Dohm que nous avons joliment parlé (le roi et lui) des juifs et de la tolérance. Je ne conseille pas aux fanatiques de se frotter là. »

Le projet d’éclairer la France à l’aide du livre de Dohm était d’autant plus urgent qu’une première tentative de l’y faire pénétrer avait piteusement avorté. Aussitôt après la publication de l’ouvrage allemand, il en avait paru une traduction française, dont six cents exemplaires avaient été envoyés à Paris par l’entremise du fameux banquier juif de Strasbourg, Cerfbeer, sans être munis de l’autorisation préalable. Malgré l’intervention du F∴ athée Lalande[1] et des intéressés, le ballot fut saisi, mis sous les scellés, puis au pilon par décret de la Chambre syndicale. Cette circonstance ne devait être pour Mirabeau qu’un stimulant de plus, l’incitant à prêter sa voix aux revendications de ses nouveaux amis les juifs et à les faire pénétrer en France en dépit de l’opinion et du gouvernement. Le plan de l’ouvrage fut concerté dans le salon d’unE célèbre juive de Berlin, la jeune et belle Henriette de Lemos, que fréquentait assidûment Mirabeau.

« À cette époque, dit Graëtz (l’historien allemand des juifs), il n’était bruit à Berlin que de la femme du docteur Herz, aussi remarquable par son esprit que par sa beauté. Les membres des cercles élégants affluaient dans son salon. Les diplomates s’y rencontraient : entre autres, Mirabeau, dans la tête duquel s’amoncelaient déjà les nuages gros d’orage de la Révolution, et pour lequel les juifs conservent une vive reconnaissance. Durant sa mission diplomatique secrète à Berlin (1786), Mirabeau était un des hôtes assidus de cette demeure… Bientôt les dames de la plus haute société ne firent nulle difficulté de se mettre en relation avec Henriette Herz et son cercle de jeunes juives, attirées qu’elles étaient par le charme de leur conversation séduisante. On se traitait presque d’égales à égales. Au nombre de ces jeunes juives, il y avait les filles de Mendelssohn. »

Ces quelques détails, donnés par l’historien juif sur le salon de Henriette Herz, nous font regretter qu’il ne nous en ait pas donné davantage. Tout ce qu’il nous en apprend encore, c’est qu’il eut une triste fin, et devint une « sorte de tente madianite ». Quoiqu’il en soit, c’est dans ce salon, dans ses

  1. Le F∴ Lalande était déjà Vénérable de la loge des Neuf Sœurs, quand Voltaire y fut affilié le 7 avril 1718.