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souvent règlent leurs actions, leurs espérances ou leurs craintes d’après les pressentiments plus ou moins obscurs de leurs visions nocturnes. On remplirait plus d’un volume du récit de ces rêves dont les pressentiments ont paru aux naïfs plus ou moins justifiés par l’événement.

Quant aux attaques du démon par le moyen des songes, elles sont fréquentes aujourd’hui, comme de tout temps. Je ne citerai, à titre d’exemple contemporain, que l’histoire d’une jeune fille morte il y a peu d’années dans des circonstances lamentables, et que j’ai connue dans un triangle de l’Amérique du Sud.

Elle appartenait à une famille catholique, des plus honorables, laquelle occupe une situation importante dans le monde industriel de son pays ; aussi, je ne la désignerai que sous son prénom, Emilia.

Emilia avait été élevée religieusement, mais peut-être pas avec toute l’attention que ses parents auraient dû exercer. Ainsi, ils lui laissèrent de bonne heure lire des romans. Elle parlait et écrivait le français aussi bien que l’espagnol, et les gens de la contrée dont il s’agit faisaient alors leurs délices des œuvres d’Alexandre Dumas père. Emilia et une de ses amies se les procuraient chez un libraire qui avait un cabinet de lecture et louait les volumes de nos romanciers à ses clients. L’amie prenait les livres, les lisait d’abord, et les passait ensuite à Emilia qui les dévorait. Après Alexandre Dumas père, vint Frédéric Soulié, puis Eugène Sue, ce dernier lu en cachette. La jeune fille prit ainsi peu à peu des goûts frivoles, des idées déraisonnables, et négligea de plus en plus ses devoirs religieux.

Elle allait encore à l’église pour y accompagner sa mère, le dimanche ; mais elle était distraite pendant l’office, elle ne songeait plus à prier. Elle fut près d’un an sans se confesser. Le samedi soir, l’après-midi, son amie venait la chercher, et toutes deux faisaient une promenade, sous prétexte de se rendre au tribunal de la pénitence. Elle trompait ainsi sa famille, grâce à la connivence de cette pernicieuse amie. Pourtant, elle n’avait commis encore aucun sacrilège.

Pâques approchait, et elle se demandait comment elle s’y prendrait pour éviter de communier, sans que personne le sût.

Pendant la Semaine Sainte, elle continua, comme à l’ordinaire, sa lecture des mauvais livres. Elle les cachait dans sa chambre ; c’était le soir surtout qu’elle les lisait, au lit, avant de s’endormir.

La nuit du Mercredi-Saint, elle s’était plongée dans un des plus irréligieux romans d’Eugène Sue ; le sommeil la prit, et elle eut un songe, que voici :

Elle se vit à l’église, dans une chapelle où les fidèles étaient peu nombreux ; c’était le matin, à l’une des premières messes. Tandis que le prêtre officiait, à l’autel, elle ne se préoccupait aucunement, elle, du saint sacrifice. Sa pensée était à son roman.