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posée la question d’admettre les juifs dans la franc-maçonnerie ; elle fut résolue en leur faveur, mais à une faible majorité.

Cette date de l’introduction de droit des juifs dans la franc-maçonnerie est importante, parce qu’elle laissait présager que le jour n’était pas loin où, par la force de cette même franc-maçonnerie dont bon nombre d’adeptes les accueillaient presque à regret, ils allaient voir tomber aussi devant eux les barrières sociales et civiles, arriver enfin à cette complète émancipation si ardemment désirée. Une fois franc-maçon, qui empêcherait le juif de devenir tout ce qu’il voudrait dans cette société dont les franc-maçons allaient bientôt devenir les maîtres, au moyen de cette Révolution préparée de longue main dans leurs conventicules ? Le grand point, la grande difficulté était de se faire ouvrir les portes du temple.

Or, ce n’était pas une petite affaire. Leur religion était le moindre obstacle. Bien qu’un certain nombre de loges, en Allemagne surtout, se trouvassent, par la lettre même de leurs statuts, astreints à n’admettre parmi leurs membres que des frères « de religion chrétienne », il n’en était pas moins vrai que dans la plupart la question de croyance religieuse était considérée comme nulle, et que presque partout prédominait le principe infernal de l’indifférentisme religieux que prêchaient à la fois, en Angleterre, en Allemagne et en France, tant de voix écoutées comme des oracles par une société corrompue et oublieuse de Dieu. La Loge n’était-elle pas ce temple fait pour représenter l’univers, s’étendant de l’orient à l’occident, du midi au nord, où devaient être admis indifféremment le juif et le chrétien, le musulman et l’idolâtre, les hommes de toute religion, de toute secte, tous appelés à être illuminés de la véritable lumière ?

Mais pour contrebalancer cette considération qui militait en faveur de l’admission des juifs, il y en avait une autre non moins puissante, même aux yeux des francs-maçons, celle de l’opprobre général qui pesait encore sur la race et le nom juifs, l’opinion invétérée qui continuait à voir en eux une race ennemie de la société, vouée par son passé à une dégénérescence irrémédiable, et dont le relèvement paraissait la plus chimérique des utopies. Les esprits forts, qui se proclamaient les plus dégagés des superstitions catholiques, un Voltaire, un Frédéric II, gardaient encore ce préjugé-là. En Allemagne surtout, dans le pays même où allait se poser la question, l’opinion hostile aux juifs était souveraine.

Le protestantisme allemand, malgré ses tendances libérales, et bien qu’il eût largement coopéré au triomphe de l’indifférentisme en matière de religion, restait fermé aux idées de tolérance envers les juifs. Luther avait donné l’exemple ; après leur avoir d’abord témoigné quelque sympathie, il s’était retourné contre eux et avait fini par les accabler d’injures. Les idées de Frédéric-le-Grand à leur sujet faisaient autorité. Eût-il tout le génie