Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maçonniques, vous serez les juges du combat ; la beauté y distribuera la couronne ; et la même main qui la recevra aura la faveur insigne de se couronner elle-même, en vous faisant l’hommage des mystères qu’elle aura conquis, comme étant votre bien et votre ouvrage. Si, sur son char belliqueux, Mars, le dieu des grands cœurs, place l’harmonie militaire à côté de la victoire, nous, nous plaçons la beauté sur l’autel de la Maçonnerie, pour nous inspirer la vertu, et pour partager la gloire des belles actions qui doivent perpétuer l’existence immortelle de cette noble institution.

« Résumons-nous, en vous rappelant que nous avons voulu essayer de prouver que l’amitié désintéressée est dans la nature ; qu’elle peut exister entre les individus d’un sexe différent, comme il est vrai qu’elle existe entre ceux d’un même sexe ; que, par une suite de conséquences, nous avons aperçu un avantage réel, pour la Maçonnerie, dans une association adoptive, laquelle n’est faite que pour embellir ses dogmes, que pour donner un nouvel essor aux vertus, et inspirer un zèle plus ardent pour suivre ses instructions.

« Bien loin de nous flatter d’avoir réussi dans une matière dont l’abondance a dû laisser échapper quelques traits, mais que votre cœur saura bien deviner, nous abandonnons nos regrets, pour nous livrer aux transports qu’un si beau jour apprête. »


Je n’hésite pas à le déclarer, ce discours est un vrai chef-d’œuvre dans son genre, en dépit de son style ampoulé. On sait, du reste, que le langage boursouflé de périodes amphigouriques, adroitement mêlées à des phrases à double entente, constitue l’éloquence maçonnique. Ces incohérences, dont le lecteur qui n’a pas la clef se heurte, sont voulues ; ce manque de liaison, ces contradictions même qui vous frappent, qui vous arrêtent et vous font douter de la sanité mentale de l’orateur, n’existent qu’en apparence. Ce qui semble un galimatias, un pathos désordonné, à l’examen du profane, est, au contraire, parfaitement réglé, et tout se tient à merveille, tout s’enchaîne, tout se suit et se correspond.

Oui, si vous prenez dans leur sens usuel les grands mots de ce speech cité comme modèle, si vous les interprétez naïvement en homme honnête, n’apercevant pas les artifices de l’hypocrisie, oui, vous direz : « Ce harangueur de dames et demoiselles nouvellement reçues maçonnes extravague ; c’est un phraseur qui débite des compliments fades et s’embrouille dans son boniment ; son discours n’a ni queue ni tête et n’est composé que de balivernes galantes, sans aucune idée d’ensemble, sans plan bien déterminé, sans but précis à atteindre ; tout cela est confus et diffus et ne mérite que d’être mis au panier. »

Que vient-il, en effet, nous raconter, cet orateur franc-maçon ? que nous chante-t-il là, avec cette amitié désintéressée, dont il fait si grand éloge et qu’il demande, pour tous les frères présents, à son auditoire féminin ? L’amitié, telle que tout le monde la comprend, est désintéressée, forcément, cela coule de source ; sinon, elle ne serait pas l’amitié ; on ne s’imagine pas