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elles, que la fibre la plus déliée rend plus propres à cette douce complaisance, à cette sociale assiduité, à ces tendres soins, à cette aptitude, à cette patience à les remplir, toutes qualités dont le Grand Architecte de l’univers les a si universellement gratifiées.

« Pourquoi, par endurcissement sur ce qu’elles valent, ferions-nous parade d’incrédulité ? — Nous sommes convaincus ici que, formées pour sentir les délices d’une amitié désintéressée, il serait surabondant de surcharger le tableau par des exemples qui, tout frappants qu’ils pourraient être, ne valent pas le sentiment intime qui nous en fait admettre la réalité. Nous croyons donc fermement que l’amitié désintéressée est dans la nature, qu’elle marche à sa suite, qu’elle est toujours, telle qu’une jeune nymphe, belle sans art, vive sans affectation, et que, si parfois on la vit déchue de l’état de perfection, elle est dans nos temples et dans nos sacrés parvis, plus occupée à recouvrer ce qu’elle a perdu, que d’acquérir de nouvelles beautés.

« Après cela, paraitra-t-il incroyable qu’elle puisse répandre ses douceurs, sans autre intérêt que son culte, sans autre résultat que sa bienveillance, même pour les individus de sexe différent ?

« Quel esprit opiniâtre oserait soutenir l’impossibilité de pratiquer les vertus que l’amitié désintéressée enseigne ? Voudrait-il se persuader que ces vertus, d’une pratique facile entre les personnes d’un même sexe, sont exclues entre deux sexes ? Pourquoi ne pas conclure avec nous que la simple amitié, l’amitié désintéressée, qui nous parait si naturelle entre les individus d’un même sexe, n’est pas plus rare ni plus extraordinaire entre ceux de deux sexes différents ?

« Suivons la faible lueur qui nous guide, et disons que, si cette véritable amitié règne parmi les hommes, si on la voit souvent se soutenir d’un pas uniforme parmi les femmes, comment des cœurs susceptibles de sentir sa divine influence, ne pourraient-ils pas, entre eux, dans leur réunion, lui fixer des bornes sans lesquelles elle ne serait plus elle-même ? Nous sentons, à la vérité, combien de difficultés à vaincre pour maintenir ce juste équilibre : c’est là où se trouve la vertu.

« De la simple amitié à ce sentiment tendre, qui jette, par l’impression de la beauté, un désordre tumultueux dans nos sens, enchaîne nos facultés et les soumet à son empire, il n’est qu’une nuance légère, que l’haleine brûlante du désir a bientôt effacée ; mais, s’il est difficile de se défendre, ne savons-nous pas, après tout, qu’il est glorieux de combattre, et que l’effort suprême de l’espèce humaine n’est pas de vaincre, mais de lutter sans cesse ? Au surplus, quoique toujours en garde, si notre surveillance se trouvait assoupie par les fatigues renaissantes d’un combat inégal ; si, dans un dédale d’enchantements, où la molle volupté, couchée sur un lit de roses, sourit à la beauté qui lui fait des esclaves, elle s’y oubliait quelques instants, nous devons espérer que la raison, soutenue de nos principes maçonniques, comme Ariane, lui offrirait un fil secourable.

« Une fois vainqueurs, comme Ulysse, des filtres magiques de l’enchanteresse Circé, nous jouirons de la douce tranquillité que les innocents plaisirs préparent à ses sectateurs ; la beauté ne pourra plus jeter dans nos agapes et dans nos temples, dont elle fera l’ornement, la fatale pomme de la discorde ; les torches funèbres de cette divinité infernale, dont la fumée épaisse et noire qu’à la sérénité de l’air, ne viendront jamais à bout d’éteindre ni