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douceur et l’indulgence sont ses compagnons inséparables, que nous resterait-il donc à craindre ? Elle ferait grâce, sans doute, à la médiocrité des talents en faveur du désir de lui plaire et de l’instruire ; mais des craintes mieux fondées viennent agiter nos esprits émus, et pourtant enchantés.

« Comment oser se faire entendre à ces oreilles délicates et sensibles, après le plaisir que nous venons de partager avec nos Sœurs à l’audition du discours du Vénérable, par lequel il vient de montrer que les hommes isolés, sevrés, volontairement et par goût, de la société des femmes, sont autant d’êtres indifférents et froids, des statues grossières, des automates, pour qui le statuaire n’obtiendra jamais, comme Pygmalion, le feu divin qui pourrait les animer ; que, semblables à ces oiseaux nocturnes et funèbres, qui, vivant ensevelis loin de la lumière et du commerce des autres oiseaux, en sont le rebut et le fléau, les femmes, à leur tour, en qui la nature grava si profondément, osons le dire, l’envie de plaire, les femmes, éloignées du commerce des hommes, voient fuir les grâces qui les embellissent, et, faute d’aliment à cette variété constitutive de leur existence, deviennent languissantes et monotones ? Tel on peut se peindre un printemps sans fleurs et sans verdure ; l’automne sans guérets, sans fruits et sans vendanges. De ces deux principes puisés dans son cœur, le Vénérable en a tiré la conséquence naturelle, que la réunion des deux sexes, en société, est nécessaire, même indispensable, pour leur bonheur commun.

« Comment encore oser élever la voix, après avoir admiré la tournure harmonieuse de notre second Orateur, mon collègue, qui, empruntant le langage des dieux, prouve aussi, par une galanterie anacréontique, que cette réunion est l’âme de nos plaisirs ? L’éloquence du premier, la magie poétique du second, ne nous laissent pas même l’idée de pouvoir glaner dans un champ où ils ont cueilli tant de fleurs, et qu’ils ont moissonné avec tant de succès. Leur morale moins sèche, plus active que celle des Chrysippe et des Zénon, leur philosophie aimable, recule loin de nous le véritable but de nos fonctions, qui devraient se borner à la simple instruction, et cependant semble nous tracer un autre plan, que la circonstance nous ordonne de suivre.

« Leur exemple nous ramène insensiblement à tenter, à notre tour, d’examiner, d’après leurs principes incontestables, la question qui en dérive, savoir : si l’amitié désintéressée, d’une part, la pure et simple amitié, d’autre part, toutes deux assez fortes par leur existence, peuvent maîtriser les autres sentiments, se les subordonner dans la réunion des deux sexes en société maçonnique ? — Ce problème métaphysique, à l’aide de la Maçonnerie qui nous soutient et nous dirige, pourrait sans doute se résoudre d’une manière victorieuse dans une bouche plus éloquente. Tâchons néanmoins d’en ébaucher le projet par quelques réflexions sommaires ; consacrons nos efforts à l’indulgence, qui voudra bien ne rien comparer et surtout ne voir que nos obligations dans la question que nous risquons de traiter.

« Tout ce qui respire est soumis aux lois de la sensibilité ; cette sensibilité elle-même à l’organisation qui l’enveloppe. Mais, dans notre espèce individuelle, viennent, après cette première loi de la nature, celles de l’éducation, des préjugés et de la fortune, qui augmentent ou diminuent le degré de cette même sensibilité.

« Le cœur se comprime ou se dilate, en raison de l’effervescence du sang