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« Quis est deus ?
« Lyon, 2 janvier 1893.
« Bien cher ami J.-K. Huysmans,

« Nous avons reçu avec joie votre lettre qui nous apportait vos vœux de cette nouvelle année. Elle s’ouvre sous de tristes pressentiments, cette année fatidique ; 8 — 9 — 3, chiffres qui forment un ensemble d’annonces terribles.

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« 3 janvier. — Ma lettre en était là hier au soir, pour attendre celle de la chère madame Thibault. Mais cette nuit un accident terrible a eu lieu. À trois heures du matin, je me suis éveillé suffoqué, j’ai crié : « Madame Thibault, j’étouffe », deux fois. Elle a entendu, et, en arrivant près de moi, j’étais sans connaissance. De 3 h. à 3 h. 1/2, j’ai été entre la vie et la mort.

« À Saint-Maximin, madame Thibault avait rêvé de Guaita (Stanislas de Ghaita) et le matin un oiseau de mort avait crié. Il annonçait cette attaque. M. Misme avait rêvé à cela. À 4 h, j’ai pu reprendre mon sommeil, le danger avait disparu.

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« Dr  J.-A. Boullan. »

Huysmans reprend :

« Quant à son agonie, la voici relatée par madame Thibault elle-même dans la lettre qu’elle vient de m’adresser, avec toute sa naïve émotion ; prenez-la au moment où nous a laissé le docteur.

« … Après avoir bu une tasse de thé, il a transpiré beaucoup ; j’ai rallumé le feu ; je lui ai chauffé une chemise qu’il a mise, et tout est rentré dans son état normal. Il s’est levé comme d’habitude, et il s’est mis à écrire, aussitôt le jour venu, son article pour La Lumière que madame Lucie Grange lui avait demandé, puis une lettre à un ami ; il voulait porter cela à la poste lui-même. Je ne l’ai pas voulu, je lui ai dit qu’il faisait trop froid pour lui.

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« L’heure du diner est venue ; il s’est mis à table et il a bien diné, il était très gai ; même il est allé rendre sa petite visite quotidienne aux dames G… et lorsqu’il est rentré, il m’a demandé si j’allais être bientôt prête pour la prière ; nous arrivons pour prier ; quelques minutes après, il se sent mal à l’aise ; il pousse une exclamation et il dit : « Qu’est-ce que c’est ? » En disant cela, il s’affaissait sur lui-même. Nous n’avons eu que le temps, M. Misme et moi, de le soutenir et de le conduire sur son fauteuil, où il put rester pendant la prière que j’ai abrégée pour pouvoir le faire coucher plus vite.

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« La poitrine est devenue plus oppressée, la respiration plus difficile ; au milieu de toutes ses luttes, il avait une maladie de foie et de cœur… Il me disait : « Je vais mourir, adieu. » Je lui disais : « Mais, mon père, vous n’allez pas mourir ; et votre livre que vous avez à faire ? il faut bien que vous le fassiez. » Il était content que je lui dise cela… il m’a demandé de l’eau du salut. Après avoir bu une gorgée, il nous disait : « C’est cela qui me sauve. » Je ne m’effrayais pas trop, nous l’avions vu tant de fois aux portes de la mort et se remettre quelques heures après. Je croyais que ce ne serait que passager. Il nous a parlé jusqu’au moment de la dernière crise… Je lui dis : « Père, comment vous trouvez-vous ? » Il me jette son dernier regard d’adieu. Il n’a plus pu nous parler. Il est entré en une agonie qui a duré à peine deux minutes…

« Il est mort en saint et en martyr ; toute sa vie n’a été qu’épreuves et souffrances depuis seize ans et plus que je le connais.

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« J’appréhendais un triste dénouement avec toutes ces luttes qu’il avait soutenues pour lui et pour d’autres. Je suis étonnée qu’il soit venu jusqu’ici. Je crois qu’il avait rempli sa tâche. Sa mort m’avait été montrée depuis plus de six ans ; et, au moment où