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Décidément, les mystérieuses affaires d’empoisonnement à distance, d’envoûtement pour mieux dire, qui firent tant de bruit au moyen-âge, vont renaître en notre siècle pratique, mais que la vieille science des mages illumine de feux sanglants. C’est maintenant un fait incontestable, et je pense que les preuves apportées dans cet article ne pourront plus laisser de doute dans les esprits : — l’abbé Boullan qui vient de mourir subitement à Lyon, a été frappé par des colères invisibles et par des mains criminelles armées de foudres occultes, de forces redoutables et inconnues.

Ayant pénétré moi-même pendant plusieurs jours dans l’intimité de celui qui fut la victime d’ennemis aussi hypocrites qu’impitoyables, il me sera permis d’apporter ici un témoignage détaché et quelques étranges documents.

Un mot d’introduction de M. J.-K. Huysmans me présenta, cette année même, à M. Boullan, qui, ayant quitté la robe de prêtre catholique pour différends théologiques avec le haut clergé, se faisait appeler par les fidèles de son Carmel le « Dr  Johannès », nom mystique signifiant que l’âme de Saint-Jean l’apocalyptique s’était en lui incarnée.

L’abbé Boullan était un des nombreux sectateurs de Vintras. Vintras a laissé une réputation discutée et troublante. Prophète peut-être, — il se prétendait, lui, la nouvelle incarnation d’Élie, — médium à coup sûr, il s’élevait de terre devant témoins lorsqu’il priait, et des craquements se produisaient autour de sa présence. Sans instruction, il écrivit des livres de science sacrée, touffue et incohérente, où, selon l’expression d’Éliphas Lévi, l’Ange s’exprimait dans un langage de portier. Il professa que l’acte de l’amour sexuel était, de tous les hommages, le plus agréable à Dieu ; sa doctrine, il l’appuya par des miracles. Quand il consacrait, les hosties, devant des centaines d’yeux abasourdis, sortaient du calice et restaient suspendues dans l’espace ; d’autres gardaient des stigmates sanglants. On les a conservées à Lyon dans une chapelle particulière. M. Huysmans qui les a vues, pourrait dire qu’elles ne sont, malgré le sang et les années, ni détériorées ni corrompues.

L’abbé Boullan rencontra Vintras, qui lui délégua ses pouvoirs. Héritier des manuscrits du Prophète, il ne tarda pas à accomplir d’aussi incroyables prodiges. Il guérissait des enfants noués, par exemple, avec des pierres précieuses ; et plusieurs femmes, — dont une Parisienne des plus citées dans le monde artistique, — furent soulagées d’une maladie de matrice — réputée incurable selon les plus savants docteurs — par l’imposition sur les ovaires d’hosties consacrées…

J’eus donc une certaine hésitation en montant l’escalier tortueux du n°… de la rue… à Lyon, là où habitait le thaumaturge[1]. Je fus reçu par un petit vieillard, allègre, aux yeux de flamme, avec un front d’inspiré et une mâchoire têtue. Il me mit à l’aise aussitôt, et nous causâmes entre madame Thibault la voyante et M. Misme, architecte qui est l’hôte et le disciple du « Père ».

« — Vous avez bien fait de venir, me dit Johannès, il est d’infâmes calomnies qui courent sur mon compte ; on prétend que je me livre à la magie noire ; les rose-croix de Paris, Stanislas de Guaita et Péladan répandent ce bruit. Mais vous quitterez Lyon, la conscience éclairée. »

  1. M. Jules Bois, dans son article, a mis l’adresse exacte du magicien Boullan.